Par Abdel Bari Atwan
La délégation de responsables des services de renseignement égyptiens qui a été envoyée à Ramallah mardi pour s’entretenir avec le président Mahmoud Abbas avant une réunion des dirigeants palestiniens de tous les partis, avait un objectif précis : atténuer les critiques politiques et médiatiques des Palestiniens à l’égard des EAU après l’annonce de leur accord de normalisation avec Israël. Cet objectif a échoué. La déclaration publiée après la réunion et son ton très critique l’ont clairement montré.
Trois choses importantes sont ressorties de la réunion des dirigeants tenue mardi soir, que les trois parties de l’accord, les EAU, Israël et les États-Unis, n’avaient pas anticipé en rejetant ou en calculant mal la réponse palestinienne à leur initiative.
Tout d’abord, toutes les organisations politiques palestiniens ont uni leurs forces lors d’une réunion tenue sous l’égide de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), y compris les non-membres du Hamas et du Jihad islamique. Ce seul fait constitue dans ces circonstances une avancée stratégique pour les Palestiniens.
Deuxièmement, Abbas a abandonné ses subtilités diplomatiques habituelles et a clairement condamné l’accord comme un “coup de poignard dans le dos” et une “trahison” de Jérusalem et de la cause palestinienne.
Troisièmement, Abbas a affirmé que les Palestiniens adopteraient la même approche à l’égard de tout autre État arabe ou islamique qui prendrait la même initiative et signerait un accord de normalisation similaire avec Israël – un avertissement clair aux autres de ne pas suivre les traces des Émirats arabes unis à un moment où des pays comme le Bahreïn, Oman, l’Arabie Saoudite et le Soudan envisageraient de le faire.
Le Hamas et le Djihad islamique n’auraient pas pris part à une réunion de dirigeants sous les auspices d’Abbas s’ils n’avaient pas reçu l’assurance que lui et son mouvement du Fateh étaient d’accord avec eux et qu’ils étaient déterminés à s’opposer à cette initiative.
Abbas a probablement aussi donné sa bénédiction, ou a été l’instigateur direct du jugement religieux (fatwa) émis par l’imam de la mosquée al-Aqsa, Sheikh Ikrama Sabri, interdisant aux citoyens des EAU de visiter le site sacré.
Ce jugement était sans précédent. Aucune interdiction de ce type n’avait été ordonnée lorsque l’Égypte, puis la Jordanie, ont lancé le mouvement de normalisation il y a des années.
Cette interdiction doit être strictement respectée sans exception : la normalisation équivaut à une trahison, quel que soit le responsable.
Elle annule également la politique antérieure d’Abbas qui consistait à encourager les Arabes et les musulmans à visiter Jérusalem tant qu’elle restait sous occupation israélienne, au motif que “visiter la prison ne signifie pas soutenir le geôlier”.
La question qui reste à poser est de savoir si cette démonstration d’unité palestinienne – dans le rejet si fort de la normalisation et la condamnation des normalisateurs – peut être maintenue. S’agit-il d’une réaction éphémère à la colère publique générée par l’accord EAU-Israël, ou bien une nouvelle stratégie pour faire face à l’occupation prend-elle forme, dans laquelle toutes les organisations palestiniennes mettent leurs différences de côté et s’unissent ?
Nous réservons notre jugement. Nous avons été séduits par des intentions apparemment bonnes dans le passé, puis trompés par des promesses qui se sont avérées illusoires. Nous espérons que cette fois, notre scepticisme sera mal placé.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
19 août 2020 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah