« Un sentiment de mort imminente »

Des enfants font la queue pour recevoir de la nourriture dans le camp de réfugiés de Jabalia à Gaza - Photo : Mahmoud İssa /Anadolu

Par Marie Schwab

« Ça suffit ! Stop ! », crie Uthman en sortant un à un des corps d’enfants d’une ambulance. « Stop ! Nous n’en pouvons plus ! Soit vous nous bombardez tous une fois pour toutes, soit vous arrêtez le carnage. Ça suffit ! Vous en voulez encore ? 51 000 morts, ça ne vous suffit pas ? Combien vous en faut-il encore ? »

L’occupant a décidé de décimer jusqu’au dernier tous les résistants palestiniens, mais aussi leurs enfants, leur femme, leurs voisins, leurs parents, leurs maraîchers, leurs libraires. Si ce n’est pas un génocide, qu’est-ce qu’un génocide ?

A Gaza, avoir survécu à un bombardement, être grièvement blessé, avoir perdu son petit frère ne prémunit pas de bombardements à venir ni de nouvelles pertes. A Gaza, les traumatismes se succèdent, un deuil se superpose à l’autre, dans un sentiment de mort imminente.

La vie, la mort ne sont qu’une question de hasard, de chance à tout instant révocable. Jour après jour, heure par heure, l’occupant bombarde des hôpitaux où sont soignés des civils blessés par les bombes israéliennes ; des abris où se réfugient des familles dont la maison a été pulvérisée.

A Gaza, cent enfants sont tués ou blessés chaque jour par l’occupant.

Pas un quart d’heure ne passe sans qu’un enfant n’arrive au bloc ou à la morgue. L’humanité perd un enfant toutes les 45 mn à Gaza.

Dimanche, 9 enfants jouant dans la rue ont été assassinés par un tir d’artillerie à al-Tuffah. « Cibler des enfants fait sens si le but est de cibler l’avenir », analyse Dr. Tammy Abughnaim. « Un enfant avec une balle dans la tête, ce n’est pas un accident – du tout, jamais », complète Dr. Mark Perlmutter.

Tous deux, durant leurs missions à Gaza, ont vu quantité d’enfants délibérément ciblés à la tête ou à la poitrine par les snipers israéliens.

L’occupant bombarde des enfants qui, pendant la trêve, priaient pour le salut de ceux qui avaient ciblé leur maison, leurs amis, leurs cousins.

Le monde des puissants assiste les bras croisés à l’extermination d’un peuple. Regarde en silence l’occupant détruire les 5 % d’écoles restantes, les distributions des dernières vivres – annihiler méthodiquement des femmes, des hommes, des enfants qui ont survécu à 18 mois de génocide.

Jour après jour, ceux qui auraient les moyens de stopper le génocide continuent de fournir des armes et de commercer avec Israël, comme s’il n’y avait rien de plus naturel au monde que de soutenir des criminels reconnus coupables de crimes contre l’humanité.

Le monde des puissants regarde indifférent des dizaines de milliers d’enfants jetés sur les routes, dans un paysage de fin du monde, emportant leur enfance dans un sac à dos, serrant contre eux un enfant à peine plus petit qu’eux.

Ils ont vu leurs abris constellés de restes humains, vu sur le sol des membres arrachés, mains de jeunes filles, pieds d’enfants.

« Est-ce que, si on est tués pendant qu’on dort, on souffre quand même ? », s’interrogent des enfants de quatre ans.

Plus de 39 000 enfants sont orphelins, et souvent il n’y a plus personne pour se souvenir avec eux de leur grand frère, de leur parents, de leur petite sœur, de leur grand-mère. « Je ne veux pas finir dans un linceul blanc, je veux revoir mon frère et mon papa », répète Motassam, 10 ans.

Ils sont dépossédés de leur passé mais aussi de toute possibilité d’un avenir serein, sans traumatismes. « Il n’y a pas d’avenir là où il n’y a plus de maisons, où des familles entières ont été décimées, où les enfants ont été massacrés », selon Ahmad Najar, journaliste à Gaza.

Le monde des puissants regarde silencieux les cours des hôpitaux transformées en morgues remplies des hurlements de désespoir d’enfants se retrouvant seuls dans un monde dévasté, des plaintes de parents que les jambes ne portent plus, effondrés devant le corps sans vie de leur enfant.

Abdelaziz serre contre lui le corps de son neveu Azouz, 7 ans, éphémère unique survivant de sa famille.

Des sacs alignés contenant des restes humains portent des inscriptions, « tee-shirt vert », « pull bleu », dans la volonté désespérée de donner à ces fragments un semblant de dignité, d’identification. Plus personne n’est là pour les reconnaître et raconter l’histoire de ces être uniques, précieux, merveilleux, engloutis dans le néant glacial du génocide.

Les cris de Lina, 6 ans, reliée à une perfusion, enlaçant le corps sans vie de sa maman, n’ébranlent pas ceux qui pourraient sanctionner Israël. La détresse de Yahia, arrivant en courant à l’hôpital, avec son fils en sang dans les bras, ne touche pas les puissants. Hamoudi, 5 ans, avait déjà été amputé d’un bras.

Le rapport d’Euro-Med Human Rights Monitor documentant des milliers de crimes constituant des atrocités de masse laisse de glace ceux qui sont aux commandes :

« Ces crimes constituent un modèle de violence sans précédent dans l’histoire récente, en termes d’ampleur, de ciblage délibéré et d’intention génocidaire, (…) comptant parmi les campagnes d’extermination les plus intenses et systématiques, (…) surpassant de par leur étendue, leur exécution méthodique et leurs effets ceux commis par des groupes armés comme Daesh. »

L’organisme suisse dénombre plus de 150 explosions dues à des robots téléguidés chargés d’explosifs qui s’introduisent dans les quartiers les plus densément peuplés – un modus operandi terroriste utilisé en toute impunité par un Etat signataire de la Charte des Nations-Unies.

Mohammed Abu Ouda témoigne de ce type d’explosion, dimanche à Khan Younis : « Nous n’avons pas entendu de bruit de missile, juste une énorme explosion qui a fait trembler tout le quartier. On a apporté chez moi mes voisins réduits en pièces ; leur maison n’est plus qu’un tas de métal tordu, de souvenirs en cendres. »

Autre carnage, autre témoin, Jamal al Madhoun : « Nous dormions. Soudain, des maisons se sont écroulées, des toits se sont écrasés sur des femmes et des enfants qui dormaient. L’occupant largue sur des enfants des missiles assez puissants pour réduire des montagnes en cendres.»

Ceux qui ont le pouvoir de briser aujourd’hui le blocus total infligé à Gaza par l’occupant depuis le 2 mars écoutent sans ciller Sam Rose, de l’UNRWA, alerter sur le génocide par la famine : « Personne n’a assez à manger. Qu’ils soient au ‘bord de la famine’ ou dans la famine n’y change rien. Ils sont dans des conditions désespérées et ne peuvent rien faire. »

Les enfants privés de la nourriture appropriée dans leurs deux premières années en portent les séquelles toute leur vie, souligne-t-il.

Comment rester insensible au désespoir de Sahel al-Qadi, père de famille à Deir el Balah, qui est impuissant à protéger ses enfants de la famine, une forme de terrorisme qui s’ajoute à la terreur des bombes et des balles ? « Je suis sorti pour trouver de quoi manger pour mes enfants, je voulais juste de la farine ou du blé mais je n’ai rien trouvé, pas un seul sac. Il n’y a plus rien. Comment vais-je nourrir mes enfants ? Je ne peux plus leur donner un repas par jour. La situation est difficile, et elle empire de jour en jour. » (Al-Jazeera, 22 mars 2025)

L’Occident fait le choix du déni du droit, le choix du colonialisme suprémaciste et génocidaire, le choix de ne pas stopper le génocide.

« Les sponsors et les laquais d’Israël continuent de placer cet Etat au-dessus de la loi, assurant la poursuite de l’impunité, dans un soutien grandissant. Alors que le génocide atteint son pic, les relations d’Israël avec la majorité des gouvernements occidentaux n’ont jamais été meilleures », selon l’analyste palestinien Mouin Rabbani.

Qu’est-ce qui est plus important, aux yeux de ceux qui pourraient immédiatement exercer des pressions sur Israël, que de mettre fin au carnage ? Qu’est-ce qui les motive à ne pas faire cesser les massacres, alors que c’est dans leur pouvoir ? Que sacrifieraient-ils donc qui soit plus précieux que la vie de milliers d’enfants ?

Les puissants regardent ailleurs, mais le coeur des peuples du monde entier saigne avec Gaza, et dans toutes les villes du monde nous crions dans les rues notre soutien aux Palestiniens et réclamons le seul nettoyage qui vaille, celui de l’occupation.

Le titre est issu des propos de Hani Mahmoud, Death is becoming very imminent now (vidéo), News Feed, Al Jazeera, 4 avril 2025.

10 avril 2025 – Transmis par l’auteure.

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