Je cuisinais une pizza quand le bruit assourdissant d’une frappe de missile visant des maisons voisines a commencé. La poussière de l’explosion est passée par la fenêtre et a semé une terreur soudaine dans nos cœurs et nous a paralysés. J’ai éteint le four et couru mettre une robe longue et un hijab pour être prête à évacuer la maison au plus vite.
Quand mon neveu Kinan a vu la poussière, il a crié : « Des éclats de roquettes ! » Il pensait que la poussière était faite des éclats de roquette qui déchirent les gens et les tuent.
Mais son frère aîné Iyad a dit : « Es-tu fou ?! Les éclats d’obus sont quelque chose de plus gros qui est pointu et solide et qui pourrait briser le mur de la cuisine et briser le mur de l’autre pièce et tuer de nombreuses personnes et… »
La longue description d’Iyad à expliquer à Kinan m’a terrifiée et m’a fait peur en imaginant que cela pouvait arriver. Alors, j’ai demandé à Iyad d’arrêter ses explications sur cette terrible image.
Nous avons attendu que la frappe aérienne cesse et que les avions soient partis avant que mes frères ne sortent pour aller aux nouvelles. Nous avons alors compris que nous n’avions pas à évacuer pour l’instant et que nous pouvions rester à la maison.
Kinan a ri et a dit : « Regarde ! Quand un bombardement se produit, tous les gens ici sortent pour savoir où se trouvent les bombes – personne n’a peur ! »
Ma petite nièce a commencé à répéter que les Israéliens prendraient pour cible notre maison : « Maman, échappons-nous, ils vont nous attaquer », a répété Alaa à plusieurs reprises. A chaque fois, nous répondions : « Non, ils ne feront pas ça, Inchallah ».
Mais de jour comme de nuit, les drones ne se sont jamais arrêtés. Les avions de chasse allaient et venaient sans cesse. Nous avons suivi l’actualité grâce à une application mobile appelée Zello, qui nous informait sur les zones bombardées. Nous restions tous ensemble, y compris les enfants, dans la même pièce à écouter les informations.
Mon frère Anas a décidé d’envoyer ses enfants chez leurs grands-parents, pensant qu’il valait mieux rester là-bas avec eux. J’ai décidé de ne plus suivre les nouvelles et j’ai laissé mes frères à leur discussion quand ils ont commencé à parler de nouvelles frappes. Si les frappes de missiles ne nous ont pas tués, notre terreur d’être tué pourrait produire le même résultat… Je me suis distraite en faisant des desserts avec mes neveux – mabrosha et gâteaux.
Les enfants ont voulu m’aider à mélanger les ingrédients dans le plat. Tout en faisant de son mieux pour m’aider, Iyad a demandé : « Qu’est-ce qui est le plus fort dans la destruction et les tueries, la roquette ou le tir du char ? »
J’ai dit: « Je ne sais pas. » Iyad a répondu: « Je pense que c’est la roquette ». Il a posé cette question et y a répondu lui-même au moins à cinq reprises ce jour-là.
La répétition de cette question me mettait les nerfs à bout, alors pour le distraire, j’ai dit : « Iyad ! S’il te plaît, parle-moi de ton avenir et de ce que tu aimes faire dans ta vie ? »
Sa réponse a accompagné le bavardage de son frère, Kinan, qui jouait au jeu en ligne Pubg. « Tu veux me tuer? Je vais te tuer…. Hahaha tu es un soldat israélien fou et stupide. »
Au petit matin, nous avons reçu un appel de ma cousine paternelle qui nous annonce : « Feryal est morte – elle est allée à la pharmacie chercher des médicaments pour sa mère, et les avions israéliens ont bombardé la rue à ce moment-là. »
Cette nouvelle nous a tous bouleversés. Mais Kinan a simplement dit : « Qu’Allah la bénisse » et il est entrée dans l’autre pièce. J’ai été troublée qu’il ait reçu ainsi la nouvelle, comme si la mort subite de quelqu’un à la suite d’une frappe aérienne était quelque chose de normal.
Avant de commencer à préparer le déjeuner, nous avons demandé à nos frères ce qu’ils aimeraient manger. « Ce n’est pas le moment de cuisiner ou de goûter à de nouveaux plats – il suffit de faire un sandwich ou quelque chose comme ça », a déclaré Abdallah.
« Je sais que nous pouvons être visés ou tués à tout moment, alors pourquoi ne pas profiter de la vie et vivre chaque instant et récité al shahada [profession de foi] en même temps ? »
J’ai ri, et ils ont ri aussi.
Alors Kinan a dit : « Faisons des macaronis ! »
Pendant que nous mangions, le bruit des drones s’est arrêté, et les avions de chasse se sont arrêtés aussi. Iyad a demandé soudain : « Papa, les Israéliens ont-ils mis fin à l’attaque contre nous ? »
« Pas encore. Mange s’il te plaît et arrête de penser à ça », fut la réponse de son père.
Les enfants du camp de réfugiés jouaient au football. Kinan et Iyad les entendirent et allèrent jouer avec eux. Abdallah a vu ses fils jouer et a vu la rue pleine de déchets. « Pourquoi ne pas ramasser les papiers et les déchets, puis continuer à jouer ? » a-t-il demandé.
Les enfants riaient et s’entraidaient pour nettoyer la rue. Kinan est venu et a joyeusement demandé une pelle. Nous nettoyons alors la rue avec les autres garçons !
Je me suis mise à rire et j’ai dit : « Génial ! Prenons des photos. » Puis Iyad est venu, souriant, et a demandé à prendre le balai.
Après avoir fini, ils ont pris une douche et ont demandé à leur père de faire une promenade en m’invitant également. « Êtes-vous fous ? » ai-je répondu. « Les avions de chasse peuvent arriver à tout moment et bombarder les rues ou la maison ! »
Les enfants ont ri et ont dit : « Quand ils viendront, nous courrons vite et volerons jusqu’à la maison. » Abdallah était très content et satisfait du travail de ses fils et il voulait les aider à garder leur bonne humeur. Il a rassemblé ses enfants autour de lui et a pris un selfie, qu’il a posté sur Facebook. Puis il a crié : « Allons-y ! »
Quelques minutes plus tard, ils étaient de retour – les drones et les avions de chasse étaient à nouveau apparus. Cette nuit-là, les explosions se sont rapprochées et nous avons entendu la nouvelle qu’Israël n’accepterait pas un cessez-le-feu.
Nous nous sommes réunis dans une pièce pour dormir, la pièce que nous pensions être l’endroit le plus sûr. « Mettons nos têtes de l’autre côté, pas sous les fenêtres », disaient les enfants.
« Lorsque les bombardements commenceront, cette fenêtre pourrait se briser et ce mur aussi, donc dans les deux cas, nous pourrions mourir. Inutile de changer nos positions », a déclaré Abdallah. Nous avons tous approuvé.
Ensuite, nous avons commencé à imaginer comment nous devrions nous échapper de la maison et quelles choses nous devrions emporter avec nous si notre quartier était attaqué pendant la nuit.
« Iyad et Kinan », a déclaré Abdallah, « Soyez prudents et attendez-moi près de la rue de la clinique, et si je ne viens pas, demandez à quelqu’un de m’appeler. »
« D’accord ! » ont répondu les enfants, sans bien comprendre le danger et la tristesse auxquels nous étions confrontés.
J’ai dit quelques versets du Coran et les enfants les ont répétés avec moi. Ensuite, j’ai dit al shahada et j’ai réussi à m’endormir.
Auteur : Israa Mohammed Jamal
* Diplômée en littérature anglaise et mère de cinq enfants (âgés de 2 à 11 ans), vivant à Rafah dans le sud de Gaza, Israa Mohammed Jamal a la passion de s'exprimer à travers la langue. Elle écrit : « Notre vie est pleine de nombreux problèmes étouffants à cause de nos esprits et de nos cœurs qui vivent sous occupation. J'essaie de remplacer les ténèbres et les pensées pessimistes par la lumière et l'optimisme en écrivant. We Are Not Numbers me donne la chance de voler dans le ciel de mon ambition, bien que je sois palestinienne et que je vive en Palestine occupée. »Son compte Twitter.
24 avril 2022 – WeAreNotNumbers – Traduction : Chronique de Palestine