Par Ramona Wadi
Les forces de police de l’Autorité palestinienne (AP) ont violemment attaqué les manifestations palestiniennes contre l’assassinat d’un militant au début du mois, dans un déchaînement d’autoritarisme inédit qui doit être dénoncé et condamné.
Le 24 juin, Nizar Banat, défenseur des droits humains et dissident politique, a été battu à mort moins de deux heures après avoir été arrêté par les services de sécurité de l’AP.
Selon des informations récentes, pour faire oublier la mort de Banat, l’AP tente de régler l’affaire hors du tribunal.
De fait, la famille de Banat n’a toujours pas reçu de document officiel indiquant la cause du décès.
“Nous n’avons pas réussi à obtenir un certificat de décès. Depuis quand un citoyen peut-il mourir sans qu’un certificat de décès soit délivré ?” s’interroge Ghassan Banat, le frère de Nazir.
L’AP réprime violemment les manifestations
Au lieu de répondre, les services de sécurité de l’Autorité palestinienne ont malmené et arrêté des manifestants qui réclamaient la justice et la destitution du dirigeant de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.
Les rapports dénonçant les violences infligées aux manifestants par les services de sécurité de l’Autorité palestinienne se multiplient
Les manifestations ont attiré l’attention du monde entier et, pendant quelque temps, l’AP qui était considéré comme un partenaire pragmatique du processus de paix est devenu, aux yeux du public, un pouvoir répressif et violent. Même si les commentateurs ne sont évidemment pas allés jusqu’à faire le lien entre la violence de l’AP et ses sources de financement internationales.
La réponse de l’AP au peuple palestinien a été remarquable d’irresponsabilité. Outre le mépris affiché envers la famille en deuil de Banat, le Premier ministre de l’AP, Mohammad Shtayyeh, a personnellement appelé un manifestant aux arrêts pour lui présenter ce qui a été perçu comme de fausses excuses.
“Nous ne pouvons pas accepter ses excuses, car il a promis que les responsables seraient punis et cela n’a pas été le cas”, a affirmé Ubai Aboudi, un militant palestino-américain.
Quelques jours plus tard, craignant de voir disparaître les derniers vestiges de son “autorité”, le Fatah a appelé à un rassemblement de soutien à Abbas et à sa politique, sur fond d’une soi-disant crainte de colonisation israélienne de Silwan et de Sheikh Jarrah.
Contrairement aux manifestations de protestation qui ont suivi l’assassinat de Banat, le rassemblement du Fatah serait passé inaperçu sans la couverture médiatique spectaculaire de l’évènement, dont le but principal était de conférer une légitimité à Abbas, orchestrée par l’agence de presse officielle de l’AP, Wafa.
Selon la propagande de l’AP, des milliers de partisans étaient présents, bien que les photos témoignent du contraire.
Si l’on avait le moindre doute sur l’authenticité du rassemblement, il a certainement été dissipé par la déclaration de Wafa : “Les manifestants ont également exprimé leur soutien aux forces de sécurité palestiniennes dans leur engagement à faire respecter l’État de droit”, une déclaration intervenant moins d’un mois après l’assassinat de Banat par les services de sécurité de l’AP, qui attribue aux Palestiniens des paroles, des actions et des sentiments contraires à la réalité des faits.
Le rassemblement du Fatah ne fait que refléter l’échec des politiques de l’AP – toutes menées dans le cadre de la solution à deux États et des efforts d’Israël pour coloniser de facto ce qui reste du territoire palestinien.
Pourtant, l’extrême violence dont s’est rendue coupable l’AP pendant les manifestations en faveur de Banat est la preuve même qu’elle est acculée et qu’elle tente, avec l’énergie du désespoir, de s’accrocher au pouvoir.
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L’AP a commencé par annuler les élections [*], soi-disant pour protéger les droits des Palestiniens de Jérusalem-Est occupée, après qu’Israël eût interdit à ces derniers d’y participer.
Puis, lorsque Israël a attaqué les manifestants palestiniens à Sheikh Jarrah, l’AP est restée remarquablement silencieuse, pendant que s’élevait, de toute la Palestine colonisée, le cri de ralliement des Palestiniens, unis contre l’occupant.
Enfin, l’AP n’a pas bronché jusqu’au dernier bombardement aérien d’Israël sur Gaza. Il a fallu que des diplomates internationaux appellent le Fatah à jouer un rôle plus important à Gaza pour évincer le Hamas, pour que l’AP se manifeste.
Manifestations en faveur de l’Autorité palestinienne
Les manifestations pro-Fatah à Ramallah font l’éloge d’Abbas, mais il ne représente plus le peuple palestinien. L’AP fonctionne comme un organisme financé par la communauté internationale pour servir de garant à la violence coloniale d’Israël en Cisjordanie occupée, et il n’y a plus rien de commun entre les dirigeants de l’AP et le peuple palestinien.
Contrairement aux manifestations appelées après le meurtre de Banat, le rassemblement du Fatah n’a pas été perturbé par les services de sécurité de l’AP.
Les services de sécurité de l’AP n’avaient évidemment nul besoin de réprimer brutalement un événement orchestré par leurs employeurs. Abbas est en train de créer un double standard parmi les Palestiniens en opposant un groupe favorable à son autorité corrompue à la majorité des Palestiniens qui – comme Banat – rejettent l’AP et voulaient aller voter le 22 mai pour chasser les dirigeants illégitimes actuels.
Dans l’approche à courte-vue de l’AP, il n’y a pas de place pour les politiques inclusives, les droits et l’unité. Les Palestiniens savent que l’AP exploite leur cause depuis des décennies en vendant la Palestine à Israël et à la communauté internationale afin d’obtenir des fonds pour soi-disant construire un État palestinien.
Les Palestiniens accusent depuis longtemps la coordination sécuritaire d’être un appareil de répression. Il est probable que plus Abbas rencontrera d’opposition, plus il intensifiera la répression contre son peuple et sa coordination répressive avec Israël, pour survivre au mécontentement populaire.
Israël craint que le départ d’Abbas ne menace sa stabilité. C’est pourquoi Israël envisage d’aider l’AP à retrouver son assise politique en résolvant la crise économique qu’Israël a provoquée en retenant les recettes fiscales qu’il prélève au nom de l’AP.
Israël sait qu’il peut compter sur l’AP pour réprimer la résistance anticoloniale palestinienne et réduire rapidement au silence tout opposant notable, comme cela s’est tragiquement produit pour Banat.
Dans la représentation tordue qu’Abbas a de l’unité, les seules personnes que sa colère épargne sont celles qui répondent à l’appel de se rassembler pour soutenir son leadership.
Les Palestiniens dont les allégeances sont ailleurs subissent de plein fouet la violence des forces de sécurité. Israël ne mettra pas fin à ses agressions et l’AP continuera de répondre à la violence coloniale par la passivité, mais les Palestiniens sont en train de tracer un nouveau chemin d’unité, fondé sur une longue tradition historique de protestation et de lutte anticoloniale.
Un pouvoir qui lance ses services de sécurité à l’assaut de sa propre population prépare sa perte.
Note:
[*] Les premières élections palestiniennes en 15 ans étaient prévues le 22 mai 2021
Auteur : Ramona Wadi
* Ramona Wadi est rédactrice au Middle East Monitor. Écrivain, chercheuse et journaliste indépendante, elle est également critique. Ses écrits couvrent une série de thèmes en relation avec la Palestine, le Chili et l'Amérique latine. Elle contribue régulièrement au PalestineChronicle.com. Consultez son site internet. Son compte Twitter.
23 juillet 2021 – Al-Araby – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet