Par Marcy Newman
Dans son dernier livre, TOURS D’IVOIRE ET D’ACIER, Maya Wind explique que les universités israéliennes sont un des bras armés du colonialisme de peuplement. Elle démontre minutieusement comment les institutions académiques israéliennes ont été créées pour servir la colonisation sioniste de la Palestine et soutenir le complexe universitaire, militaire et industriel d’Israël.
Aux États-Unis, les corps législatifs interviennent de plus en plus dans les pratiques universitaires telles que la titularisation et l’IED (Diversité, Équité et Inclusion, programme de discrimination positive, ndt).
Récemment, la Chambre des représentants de l’Indiana a tenté de légiférer sur la « diversité intellectuelle », en exigeant que les universitaires adoptent une série de points de vue qui pourraient conditionner leur réussite à un examen.
Au niveau national, les meilleures institutions se retrouvent sous le feu des critiques si leur administration n’est pas suffisamment sioniste.
C’est exactement cette forme d’empiétement sur la vache sacrée de la liberté académique que le gouvernement israélien pratique sur les professeurs et les étudiants. La différence est qu’en Israël, cette ingérence est intégrée au système. C’est pourquoi l’ouvrage de Maya Wind, « Tours d’ivoire et d’acier : Comment Israël nie la liberté des Palestiniens », est un outil essentiel pour toute personne impliquée dans la vie universitaire – étudiants, professeurs ou personnel.
C’est également un texte que les personnes impliquées dans le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) trouveront essentiel : son analyse systématique, sa présentation de l’histoire et ses données solides sont les munitions dont nous avons besoin pour combattre ceux qui prétendent que le boycott des institutions académiques israéliennes porte atteinte à la liberté académique.
Israël s’acharne sur les étudiants palestiniens de l’université de Birzeit
Le livre de Wind est structuré en deux parties : la complicité et la répression. Il s’ouvre et se conclut par deux brillants essais de Nadia Abu El-Haj et Robin D. G. Kelley.
La première partie de l’ouvrage de Wind montre comment les institutions universitaires israéliennes ont été créées pour servir de fondation à l’état colonial militarisé, tandis que la seconde partie traite de la manière dont ces institutions mettent en œuvre l’apartheid et interdisant leur accès aux étudiants et enseignants palestiniens.
Wind fait immédiatement un constat d’une clarté rafraîchissante : « Les universités israéliennes ne sont pas indépendantes de l’État sécuritaire israélien, mais servent plutôt de prolongement à sa violence x (p. 13). Tout au long de son livre, le lecteur comprend de mieux en mieux que le rôle des universités israéliennes est de fabriquer les arguments et analyses nécessaires pour rationaliser et légaliser le régime d’apartheid israélien.
Les preuves compilées dans le puissant livre de Wind comprennent une variété de documents accessibles à une Israélienne ashkénaze comme Wind, bien que sa lutte contre le sionisme ait commencé lorsqu’elle était adolescente, notamment en refusant de servir dans l’armée israélienne.
S’appuyant sur des recherches menées par des universitaires et des militants palestiniens, ainsi que sur des documents provenant des archives de l’État et de l’armée israéliens, Wind montre la manière dont les universités israéliennes se rendent complices de la violation des droits des Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur du monde universitaire.
L’université et la colonie de peuplement
Pour expliquer le rôle des universités israéliennes dans le colonialisme de peuplement, Wind montre qu’ « avant même la création d’Israël, le mouvement sioniste a fondé trois universités, qui devaient explicitement servir les objectifs territoriaux du mouvement en Palestine ». (p. 23)
L’Université hébraïque (1918) a été conçue pour être un « avant-poste stratégique pour le mouvement sioniste et pour revendiquer symboliquement Jérusalem », tandis que le Technion (1925) et l’Institut Weizmann (1934) ont été « créés pour faire progresser le développement scientifique et technologique d’Israël » (p. 23).
Chaque institution a participé à la Nakba en accueillant le « Corps scientifique de la Haganah, qui a ouvert des bases sur les trois campus pour effectuer des recherches et affiner les capacités militaires » (p. 23). Les professeurs et les étudiants ont participé, sur leurs campus, à la production d’armes conventionnelles et biologiques pour les milices sionistes qui expulsaient et massacraient les Palestiniens.
Le Science Corps a ensuite été intégré au ministère de la défense et a conduit à la création des principaux fabricants d’armes israéliens, tels que Rafael et Israeli Aerospace Industries – une conséquence de l’imbrication du monde universitaire et de l’État. Comme l’explique Wind, « les industries militaires de l’État israélien et ses universités ont toujours été imbriquées. Les universités ont initié, financé et avancé leur recherche scientifique avec l’aide de l’État sécuritaire israélien et des entreprises d’armement israéliennes ». (p. 105)
Si l’une des branches du monde universitaire israélien s’est certainement attachée à construire l’arsenal militaire de l’État, l’autre s’est concentrée sur le projet d’expansion démographique et territoriale : « Leurs campus, leurs recherches et leur expertise en matière de construction et de planification ont été mis au service du projet territorial et démographique de l’État ». (p. 60) En d’autres termes, les universités israéliennes font partie intégrante du processus de judaïsation.
Toutes les universités d’Israël ont annexé des terres palestiniennes, à l’instar de l’Université hébraïque de Jérusalem qui a bâti ses campus Ouest et Est sur des terres de Sheikh Badr ou d’Issawiyeh. Les postes de police des villes universitaires se coordonnent avec la sécurité des campus, « composée d’anciens soldats israéliens, dont beaucoup servent encore dans des unités de réserve de combat », et surveillent les Palestiniens sur le campus et à l’extérieur. (p. 148)
Onze Palestiniens blessés par balles par les troupes d’occupation, à l’Université de Birzeit
Il n’est pas exagéré d’établir un parallèle avec les universités des villes américaines et leur rôle dans la gentrification et le maintien de l’ordre dans les quartiers défavorisés.
Mais les universités israéliennes ne sont pas seulement obsédées par les annexions près de la Ligne Verte. L’université de Haïfa « a été conçue pour faire avancer le projet démographique régional d’Israël » (p. 71) sur les terres d’al-Khureiba. Ses «départements d’urbanisme et de géographie ont apporté leur expertise pour concevoir, évaluer et améliorer les politiques de ‘judaïsation’ ». (p. 72)
La production scientifique de sa faculté a aidé le ministère de la Défense à « construire des justifications scientifiques pour l’expulsion, le confinement et la discrimination des citoyens palestiniens, parallèlement à l’augmentation des investissements réservés exclusivement aux colonies juives en Galilée ». (p. 73)
De même, « l’université Ben-Gourion a été créée en 1969 dans le but explicite de ‘développer le Néguev’ et, comme le dit l’adage sioniste, de ‘faire fleurir le désert’ » (p. 76). (p. 76) Comme en Galilée, Israël s’est efforcé de réduire la population bédouine palestinienne en l’empêchant d’accéder à ses terres et la déplaçant dans le désert du Naqab avec les Juifs considérés comme inférieurs, c’est-à-dire les Juif d’origine arabe et indienne.
L’université israélienne la plus récente a vu le jour exactement de la même manière que celles qui l’ont précédée, sur des terres volées à des villages palestiniens comme Kifl Hares et Marda. Comme le souligne Wind, la fondation de l’université d’Ariel a exactement le même programme que ses homologues. En effet, Ariel est considérée comme un précurseur de l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie.
Elle a « transformé […] la perception du public israélien d’une colonie illégale et lourdement militarisée en une banlieue de Tel-Aviv » (p. 81). (p. 81) L’université et la colonie se renforcent mutuellement : « L’institution délivre des diplômes comme moyen d’étendre la souveraineté israélienne et de faire progresser l’annexion du territoire palestinien occupé. » (p. 84)
Le complexe militaro-industriel universitaire
Wind fait un excellent travail en démontrant comment les institutions ont été créées pour servir les objectifs sionistes, mais il est particulièrement intéressant de découvrir la manière dont une grande variété de disciplines universitaires, – archéologie, droit, philosophie, études sur le Moyen-Orient, histoire, sociologie, architecture, anthropologie, politique et gouvernement, études culturelles, programmes spécialisés – participent, pour l’État israélien, à la création de données pour les secteurs militaires et ceux de la haute technologie, dans une fusion parfaite entre les trois secteurs.
En s’appuyant sur des preuves spécifiques à chaque discipline, Wind illustre la manière dont le travail du monde universitaire est historiquement et continuellement utilisé pour opprimer et déplacer les Palestiniens.
Dans certains domaines, comme les études sur le Moyen-Orient, le pantouflage des cadres entre l’État, l’entreprise et l’université favorise le développement d’un puissant complexe universitaire-militaire-industriel : « Cet enchevêtrement d’expertise universitaire, militaire et étatique a façonné la discipline au cours de ses premières années. Bon nombre des chercheurs fondateurs des études israéliennes sur le Moyen-Orient sont passés d’un rôle universitaire à un rôle parallèle dans l’establishment de la sécurité, ou ont été liés par des promesses de loyauté et de secret envers les appareils de l’État ». (p. 49)
Parmi les diverses contributions à l’oppression des Palestiniens issues de ce pantouflage, on peut citer celle de l’université de Tel Aviv qui a empêché le retour des réfugiés palestiniens après l’adoption de la résolution 194 de l’ONU.
La collusion entre l’État et le monde universitaire se manifeste aujourd’hui dans la création de programmes tels que le programme de renseignement Havatzalot de l’Université hébraïque. L’université a dû faire des concessions pour accueillir le programme, qui comprenait « une intervention militaire israélienne de grande envergure dans le contenu, la structure, les employés et l’infrastructure du programme sur le campus ». (p. 53)
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Les étudiants palestiniens ont protesté contre ce programme, notamment en projetant un film montrant ce qu’ils ressentaient lorsqu’ils rencontraient des étudiants de Havatzalot dans leurs salles de classe ; leurs actions ont été réprimées, notamment par des appels à des enquêtes criminelles de la part de la Knesset.
Ces actions étaient pourtant justifiées, surtout au regard de la dérive du Congrès qui enquête actuellement sur les réactions des campus universitaires à la guerre génocidaire d’Israël contre Gaza.
La répression des étudiants palestiniens
Il est important de noter que le traitement des étudiants palestiniens occupe une part importante du livre de Wind, en particulier dans le secteur de l’éducation, car il affecte les citoyens palestiniens d’Israël et leurs enseignants, tous victimes de décennies de surveillance et de discrimination.
Même l’enseignement secondaire en Israël a été largement du ressort de l’État sécuritaire. Wind raconte que « pas plus tard qu’en 2020, le directeur général du ministère de l’éducation a rencontré le Shin Bet pour discuter du dépistage du ‘radicalisme’ chez les enseignants palestiniens ». (p. 137)
Pour être admis dans les universités israéliennes, il faut surmonter divers obstacles, comme le fait de venir d’établissements mal équipés, les examens psychométriques, les quotas dans des domaines tels que la médecine, et le racisme systématique envers les citoyens qui ne sont pas juifs.
Pour ceux qui parviennent à franchir ces obstacles et à s’inscrire dans une université israélienne, les barrières sont quotidiennes, qu’il s’agisse de l’acceptation dans un logement étudiant ou du harcèlement sur le campus.
Lorsque les étudiants palestiniens tentent de s’élever contre le traitement qui leur est réservé, les universités israéliennes ne se rangent jamais de leur côté : « Les administrations universitaires ne le reconnaîtront jamais mais elles mettent en œuvre les politiques discriminatoires du régime israélien ».
En fait, sur un campus israélien, nous dit Wind, « l’identité palestinienne elle-même a toujours été vue comme une ‘menace pour la sécurité’ ». (p. 146)
Il existe une organisation dont la mission est de réduire au silence les étudiants palestiniens, en particulier ceux qui s’engagent dans le militantisme. Il s’agit d’Im Tirtzu, une organisation affiliée au Likoud qui s’engage à « surveiller les professeurs juifs de ‘gauche’ et à intimider les groupes d’étudiants palestiniens » et qui a des antennes sur tous les campus universitaires israéliens. (p.117)
Les professeurs ne sont pas à l’abri de cette surveillance si leurs recherches et leur enseignement menacent l’État ; les informations fournies par Im Tirtzu ont conduit à l’expulsion des politologues Haim Yacobi et Neve Gordon de l’université Ben-Gurion. Bien entendu, le travail d’Ilan Pappé et de son étudiant, Theodore Katz, à l’université de Haïfa sont deux autres exemples notoires évoqués par Wind.
Wind couvre également l’enseignement universitaire palestinien de manière plus générale, y compris l’ingérence israélienne dans la création et le fonctionnement des universités en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
La surveillance de l’activisme étudiant sur les campus de Cisjordanie a souvent conduit à une violente répression militaire – surveillance rendue possible par les connaissances et les armes produites par le complexe militaro-industriel universitaire israélien. Cette oppression est directement liée au pipeline qui mène directement de l’université à la prison, dans lequel le régime d’apartheid israélien piège de nombreux Palestiniens, avec la complicité des universités.
Selon les recherches de Wind, « aucun président d’université israélienne ou administrateur principal n’a jamais proposé d’intervenir » en faveur des professeurs ou étudiants palestiniens ciblés par des raids militaires israéliens sur leurs propres campus. Au contraire, « le président de l’université de Tel Aviv a même appelé en 1986 à la fermeture de l’université de Birzeit par le gouvernement militaire israélien ». (p. 166)
Comme Wind le décrit méticuleusement, il y a un silence assourdissant dans les couloirs de l’université israélienne sur les violations du droit à l’éducation des Palestiniens. Ce seul fait devrait inciter tout le monde à rejoindre le boycott académique.
Ces exemples et ces histoires, qui sont également très présents dans la réalité actuelle du monde universitaire israélien, devraient suffire à pousser les universitaires à rejoindre le mouvement de boycott en tant qu’individus et en tant que membres d’organisations professionnelles.
Le livre de Wind est clair comme de l’eau de roche : « Non seulement les universités israéliennes participent activement aux violences de l’État israélien contre les Palestiniens, mais elles contribuent par leurs ressources, leurs recherches et leurs études à maintenir, défendre et justifier cette oppression ». (p. 178).
Auteur : Marcy Newman
* Marcy Newman est l'auteure de The Politics of Teaching Palestine to Americans : Addressing Pedagogical Strategies. Elle est membre fondateur de la Campagne américaine pour le boycott académique et culturel d'Israël (USACBI) et membre de Jewish Voice for Peace.
2 mars 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet