Dans le monde post-vérité, post-honte de Donald Trump et Boris Johnson, dans lequel les politiques sont inversées avec un tweet, l’histoire réécrite dans un slogan répété en boucle et la “réalité” écrasée par les titres dans les médias, le soutien indéfectible de l’UNRWA à plus de cinq millions de réfugiés palestiniens, à leurs droits et à leur dignité n’a jamais été aussi important.
Mais l’agence, qui fête maintenant ses 70 ans, doit mettre une conclusion à son récent scandale de mauvaise gestion, restaurer la confiance des donateurs et renouer avec les communautés de réfugiés. Sous sa nouvelle direction, elle peut y parvenir et en ressortir plus forte.
L’enjeu n’a jamais été aussi élevé.
En août 2018, la Maison Blanche Trump a supprimé la contribution annuelle des États-Unis à l’UNRWA – 365 millions de dollars, un quart du budget de l’agence – mettant en péril les services à la population de réfugiés la plus importante et la plus ancienne au monde.
Un modèle d’unilatéralisme destructeur s’est rapidement imposé. En décembre 2017, les États-Unis ont annoncé la décision de déplacer leur ambassade de Tel Aviv à Jérusalem, reconnaissant l’annexion et l’occupation illégales par Israël de la ville, brisant des décennies de consensus international.
En mars de cette année, l’ambassadeur de Washington en Israël a approuvé l’annexion illégale des hauteurs du Golan et en novembre, les États-Unis ont déclaré que les colonies juives n’étaient pas incompatibles avec le droit international, tolérant ainsi de multiples “violations graves” des Conventions de Genève – pouvant équivaloir à des crimes de guerre – par Israël, la puissance occupante, contre un peuple protégé par les Nations Unies.
Encouragé par une réponse internationale sans consistance, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a exigé davantage. Il a exhorté les États-Unis à soutenir ses plans d’annexion de la vallée du Jourdain, où plus de 65 000 Palestiniens vivent aux côtés de quelque 11 000 colons juifs sur des terres également saisies en violation du droit international.
Les cadres juridiques sur lesquels l’ordre mondial est fondé depuis la Seconde Guerre mondiale font l’objet d’attaques unilatérales.
En outre, la Maison Blanche tente de redéfinir trois questions essentielles à la recherche de la paix au Moyen-Orient – Jérusalem, les réfugiés et les colonies – tout cela sans aucun frais pour Israël, sans rien demander en retour.
Ne vous méprenez pas sur qui mène tout cela… Dès décembre 2016, Netanyahu a appelé au démantèlement de l’UNRWA. Ses acolytes à Washington, tels que l’ami de la famille Netanyahu et gendre de Trump devenu conseiller pour le Moyen-Orient, Jared Kushner, ont offert leur soutien à l’objectif tant recherché d’Israël : l’élimination du statut de plus de cinq millions de réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’UNRWA, et de leur droit au retour.
La Maison Blanche de Trump a fait valoir que les descendants des réfugiés de 1948 n’étaient pas eux-mêmes des réfugiés, une notion en contradiction flagrante avec les normes internationales et les meilleures pratiques en matière de réfugiés adoptées par beaucoup, y compris l’autre agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR, dont les États-Unis sont le plus grand donateur.
Mais il y a eu un mouvement de réaction contre cette tentative d’effacer de l’Histoire les droits, l’identité et l’existence même de millions de réfugiés.
En décembre, l’Assemblée générale des Nations Unies [AGNU] a voté à une écrasante majorité le renouvellement du mandat de l’UNRWA pour trois ans, en même temps que la définition légitime du statut des réfugiés. Pas moins de 169 membres ont soutenu cette résolution, deux votant contre : les États-Unis et Israël. Ils se sont retrouvés totalement isolés, battus.
Pour l’UNRWA, cette victoire diplomatique avait une signification supplémentaire.
Les mois qui ont précédé le débat à l’AGNU, l’agence a été durement touchée par un scandale dans sa gestion, limité à un petit groupe de fonctionnaires autour du chef de l’exécutif, le commissaire général, qui a été contraint de démissionner.
Un responsable intérimaire, Christian Saunders – un réformateur chevronné des Nations Unies et un proche confident du Secrétaire général des Nations Unies – a été nomme pour résoudre la crise liée à la mauvaise gestion. Le vote écrasant de l’Assemblée générale des Nations Unies a été un signe évident que l’UNRWA avait franchi le pas nécessaire. Récemment, les donateurs qui avaient suspendu l’aide jusqu’à ce que l’agence ait résolu ses problèmes internes, ont renouvelé leurs financements.
L’UNRWA a encore un énorme déficit financier à combler d’ici la fin de l’année. Mais elle a le projet de combler le vide laissé par la perfidie de Washington. Surtout, et sans doute temporairement, ce vote [à l’AGNU] a mis un coup d’arrêt à l’attaque politique d’inspiration israélienne, qui comprenait une tentative de faire cesser les opérations de l’UNRWA à Jérusalem.
Alors, comment l’agence va-t-elle pouvoir aller de l’avant après le triple coup dur de la crise financière, du scandale dans sa gestion et de l’attaque politique contre son mandat ?
Pour commencer, l’Agence doit conforter la confiance de ses principaux bailleurs de fonds en menant à bien les réformes de gestion initiées par Christian Saunders, visant à stabiliser l’agence à la suite du départ du précédent commissaire général et de son entourage.
Les donateurs doivent honorer pleinement leur “grand accord” tant vanté et répondre par des accords pluriannuels à tous les niveaux, facilitant la planification à long terme et la sécurité financière, reconnaissant la contribution de longue date de l’UNRWA au capital humain et la nécessité de poursuivre ses programmes qui sauvent des vies.
La garantie et l’amélioration de ses services aideront l’UNRWA à rétablir sa crédibilité auprès des Palestiniens – qu’elle a vocation à servir – et qui a été endommagée par les récentes accusations de mauvaise gestion.
Mais l’agence doit aller encore plus loin.
Avec un financement arabe accru et une plus grande diversité parmi ses donateurs à la suite du lâchage des États-Unis il existe une opportunité pour établir de nouvelles relations avec la presse, fondées sur des faits et basées sur le droit international, ce qui a été manifestement absent cette année.
Une UNRWA revigorée doit ancrer sa mission humanitaire dans l’expérience des réfugiés. Pour y parvenir, l’agence doit entamer un large et sincère débat avec les communautés de réfugiés. Libéré des contraintes de l’influence financière américano-israélienne, le moment est venu de consulter les réfugiés sur leurs aspirations et de défendre de manière significative leurs droits, y compris leur droit à l’autodétermination et l’ensemble de leurs droits civils et politiques.
L’UNRWA doit faire valoir avec force auprès de la communauté des donateurs que l’aide n’est pas une activité de substitution. Elle ne peut jamais remplacer les droits et la dignité. Les droits des Palestiniens ne sont pas à vendre.
Les porte-parole de l’UNRWA doivent mettre en évidence le contexte dans lequel l’agence mène ses actions et leur impact sur les réfugiés, les personnes vivant sous une occupation vieille de plus d’un demi-siècle en Cisjordanie et à Gaza, dont 13 ans de blocus illégal à Gaza, neuf ans de guerre en Syrie et des décennies de marginalisation sociale au Liban.
L’agence doit replacer son discours dans son contexte historique, rappelant au monde les événements de 1948 au cours desquels 770 000 personnes ont été déplacées de force et plus de 450 villages palestiniens détruits dans une campagne systématique de nettoyage ethnique par des groupes armés juifs.
Soixante-dix ans après, l’UNRWA et ses donateurs doivent s’engager à nouveau dans leur mission historique jusqu’à ce que les injustices de 1948, qui perdurent jusqu’à ce jour, soient corrigées et que la dépossession des Palestiniens soit résolue dans la justice.
Et surtout, l’UNRWA doit donner aux réfugiés palestiniens les moyens de se présenter au monde comme étant les propriétaires et acteurs de leur propre dignité et de leur propre destin.
Pour ce faire, les services de l’agence doivent être entièrement financés, avec des réformes de gestion approfondies et un discours solide fondé sur les droits. Ce sont les trois piliers sur lesquels reposera très certainement le rétablissement de l’UNRWA.
Ces trois axes seront également une réponse forte et réaliste à l’unilatéralisme de Trump autour de laquelle l’UNRWA et toutes ses parties prenantes – y compris les réfugiés – doivent s’unir.
* Christopher Gunness a précédemment été porte-parole de la force de maintien de la paix des Nations Unies dans les Balkans et porte-parole en chef de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) au Proche-Orient. Son compte twitter : @Chris Gunness
17 décembre 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine