Utiliser Facebook pour contrer les rafles de l’armée d’occupation

M, qui administre l’un des groupes Facebook, vérifie constamment son téléphone pour les mises à jour et les messages des autres habitants du camp sur les activités des forces israéliennes - Photo : Al-Jazeera/Abed al-Qaisi

Sheren Khalel – Les habitants des camps de réfugiés de Cisjordanie s’appuient sur les médias sociaux pour avertir leurs voisins des incursions israéliennes imminentes.

Dans les toutes premières heures du jour, alors que la plupart des habitants du camp de réfugiés de Beit Jibrin sont encore endormis, un groupe de jeunes gens montent la garde et surveillent les entrées et les ruelles étroites du camp délabré qu’ils appellent leur foyer.

Se servant d’applications de médias sociaux telles que WhatsApp et Facebook, ils envoient régulièrement des photos prises depuis leurs positions tout au long du camp, ainsi que des messages vers leurs groupes Facebook.

Alors que la plupart des nuits se passent sans incident, les jeunes hommes sont prêts à face à la brutalité d’une incursion israélienne.

Le camp de Beit Jibrin, connu par ses habitants sous le nom de camp d’Azza, se trouve à seulement quelques centaines de mètres du mur d’apartheid d’Israël et d’une base militaire israélienne. La fréquence des rafles a grimpé en flèche au cours des six derniers mois de révolte en Cisjordanie occupée et en Israël [Palestine de 1948], et des centaines de Palestiniens ont été enlevés et emprisonnés, selon le groupe Addameer de défense des droits des prisonniers.

Alors que les villes et les villages de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est ont aussi été la cible de ces raids, les camps de réfugiés sont des foyers d’intense activité politique et les forces israéliennes d’occupation y pénètrent rarement sans devoir user de violence.

« Les médias sociaux sont l’outil avec lequel nous nous organisons, » nous dit M, l’un des jeunes hommes qui monte la garde dans le camp de Beit Jibrin. « C’est le moyen le plus sûr de rester anonymes et connectés entre nous, afin que nous puissions être prêts à nous opposer aux Israéliens. »

Selon M, même ses amis les plus proches ne savent pas qu’il est l’un des administrateurs de la page Facebook du camp, 24 Hour Azza Camp News. La page a plus de 4200 j’aime – soit quatre fois le nombre d’habitants du camp.

La page met en garde les habitants contre les raids israéliens, lesquels se produisent principalement au milieu de la nuit. Les administrateurs de la page disent à leurs camarades où les soldats israéliens entrent, devant quelles maisons ils s’arrêtent, combien de soldats sont présents, ainsi que toute autre information qui pourra être utile.

« La plupart des gens qui gèrent la page avec moi ont purgé une peine dans une prison israélienne, et nous nous faisons confiance les uns les autres, » explique M. « Nous nous connaissons depuis que nous étions à l’école, et si l’un d’entre nous est arrêté ou ne peut plus nous aider sur la page, alors nous recrutons quelqu’un d’autre en qui nous avons totalement confiance, pour qu’il nous vienne en aide. »

Toujours d’après M, ce que font ces jeunes gens est dangereux. Si un administrateur de la page est découvert, il sera assurément arrêté, soit sur des accusations sans aucun rapport, soit placé en détention administrative [sans accusations ni jugement, pour des durées de 6 mois indéfiniment renouvelable].


« Nous sommes extrêmement prudents », dit-il. « Ce que nous faisons peut sembler quelque chose de limité, mais c’est une des armes de la résistance. »

Ahmad Butto, un Palestinien spécialiste de la sécurité des données informatiques, a déclaré à Al Jazeera que le contact par le biais des médias sociaux est plus sûr que l’utilisation d’appels téléphoniques ou de messages sms. L’application de messagerie WhatsApp effectue un chiffrement des données de bout en bout, ce qui rend plus difficile pour un tiers de pirater une conversation privée, explique-t—il.

« Ces applications de médias sociaux ont ouvert de nouvelles portes pour [la protection de] la vie privée », déclare Butto. « Alors que le suivi des appels téléphoniques et des messages sms est une technique maintenant ancienne, le piratage de certains de ces nouveaux moyens de communication est extrêmement difficile et prend du temps. Il est bien plus facile de rester anonyme. »

Les camps de réfugiés de Cisjordanie sont surpeuplés, mais les jeunes en charge de cette surveillance de protection ont un avantage réel : ils connaissent chaque ruelle étroite, chaque maison et leur toit. « Nous connaissons le camp comme personne d’autre, » dit M. « Si les forces israéliennes ont l’intention d’entrer dans le camp, nous les voyons avant qu’ils ne puissent nous voir, et nous envoyons nos messages pour que les gens puissent se préparer. »

« Se préparer » implique une quantité de choses, explique-t-il : « Les femmes se lèvent et se changent de sorte à être habillées de manière appropriée si les Israéliens font une intrusion dans leur maison, et quand les gens sont préparés à la venue de l’armée, ils sont alors éveillés et guettent les coups frappés à leur porte de façon à pouvoir l’ouvrir avant que les forces d’occupation ne la fasse exploser hors de ses gonds. Si quelqu’un sait que les Israéliens cherchent à le kidnapper, il pourra se sauver avant qu’ils aient une chance de le trouver… Les alertes à l’avance sont essentielles. »

Alors que la plupart utilisent les avertissements via les médias sociaux pour mieux se protéger, certains parmi ces jeunes gardent un œil sur les pages Facebook pour mieux organiser les affrontements, montant alors sur les toits, armés de pierres et de cocktails Molotov quand ils savent que les forces israéliennes sont en-dessous.

D, un jeune homme du camp de réfugiés de Dheisha – qui abrite 15 000 réfugiés palestiniens – nous déclare qu’il utilise la page Facebook du camp comme moyen pour la résistance. La page qui à certains égards ressemble à un fil de news, a plus de 34 000 j’aime.

« La page Facebook pour moi est une arme ; c’est une arme qu’ils ne peuvent pas stopper », dit-il à Al Jazeera. « Notre page a été piratée et fermée à plusieurs reprises, mais nous n’enfreignons pas les conditions d’utilisation de Facebook, donc Facebook nous rouvre à chaque fois notre page. »

La page est un projet collectif, ajoute-t-il, notant que lors des raids israéliens – comme les habitants envoient au groupe les photos et les mises à jour de ce qu’ils peuvent voir de leurs fenêtres – la page est parfois rafraîchie par des dizaines de messages privés en l’espace de quelques minutes.

« Nous ne pouvons pas être partout à la fois et nous ne pouvons pas risquer d’avoir trop de gens impliqués dans l’opération. Mais toute la communauté nous aide à rester à jour sur leur zone du camp, sans jamais savoir exactement qui ils aident, » dit encore D.

« Nous savons tout. Nous savons toujours où sont les soldats dans le camp. Ils ne peuvent pas entrer à Bethléem sans que tout le monde nous avertisse où ils sont et combien ils sont. Sans les médias sociaux, ce serait impossible. »

Abed al-Qaisi a contribué à ce reportage.

27 mai 2016 – Al-Jazeera – Traduction : Lotfallah