Par Abdel Bari Atwan
Rapporteur spécial des Nations Unies, Agnès Callamard a eu raison de qualifier ce jugement de “parodie” de justice.
La décision du tribunal saoudien de lundi, qui a condamné à mort cinq personnes et trois à la prison pour le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi – prétend dans sa conclusion que le meurtre n’était pas prémédité mais une décision impulsive.
Callamard connaît les détails de l’affaire. Elle a eu accès aux enregistrements audio du crime – réalisés par les autorités turques – tel qu’il s’est déroulé au consulat saoudien à Istanbul, tout comme la directrice de la CIA, Gina Haspel, qui a informé les députés américains que le prince héritier Muhammad Bin Salman l’avait très probablement commandité.
La grande surprise du verdict a été l’acquittement des deux principaux maîtres d’œuvre de l’opération : Ahmad al-Asiri, chef adjoint du renseignement saoudien, et Saud al-Qahtani, conseiller direct du prince héritier. Les diplomates occidentaux qui ont assisté aux séances d’ouverture du procès ont rapporté que certains des accusés avaient pourtant déclaré que les deux protagonistes, – et en particulier Asiri – avaient réuni l’équipe d’assassins et l’avaient dirigée.
S’il n’y avait aucune intention préalable de tuer Khashoggi, pourquoi tant d’agents (19 hommes) ont-ils été affectés à l’opération, y compris le médecin légiste Saleh al-Tobaigy, qui était équipé d’une scie à os électrique, et a été entendu dans les enregistrements, plaisantant que c’était la première fois qu’il démembrait un corps encore chaud ?
Le départ en catastrophe du consul saoudien à Istanbul, Muhammad al-Otaibi, était tout aussi surprenant, au motif qu’il était en congé au moment du crime, même si des employés locaux du consulat ont témoigné qu’il était là. Les Turcs avaient révélé de leur côté que les morceaux du corps de Khashoggi avaient été emmenées à la résidence consulaire pour être incinérées dans un four spécial.
Le tribunal n’a pas nommé les cinq condamnés à mort, ni précisé si ou quand les peines devaient être exécutées. On ne sait pas non plus si Asiri et Qahtani seront réintégrés à leurs postes, bien que certains rapports affirment qu’ils sont restés dans leur emploi et on conservé des relations étroites avec le prince héritier.
L’annonce du verdict juste avant les fêtes de Noël en Occident a été délibérément programmée pour réduire au minimum les retombées politiques et médiatiques. Une décision rusée, sans aucun doute, mais cela ne signifie pas que l’affaire a été enterrée. Loin de là. Il aurait peut-être été préférable pour Riyad de ne jamais rendre le verdict public, pour la simple raison que personne, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Arabie saoudite, ne lui accorde la moindre crédibilité.
Le meurtre de Jamal Khashoggi ne sera pas facilement effacé. Les tribunaux saoudiens et leurs décisions, comme celles d’autres pays arabes, n’ont aucun minimum d’équité, d’indépendance ou de transparence. L’affaire restera donc “en attente” jusqu’à ce que, dans un avenir indéterminé, elle soit rouverte et que tous les responsables soient tenus de rendre des comptes.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
18 novembre 2019 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah