Par Addameer
Ils ont été systématiquement et délibérément privés d’un droit spécifique – le droit à l’éducation – toutes ces décennies. Pour avoir accès à l’éducation, et même pour pouvoir disposer de stylos et de papier à l’intérieur des murs de la prison, les prisonniers palestiniens ont dû recourir, entre autres formes de résistance, à des grèves de la faim collectives. En 1992, les prisonniers ont obtenu le droit de bénéficier de l’enseignement secondaire et supérieur à la suite d’une des grèves de la faim les plus importantes et les plus célèbres de cette année-là.
Cela a entraîné un changement de paradigme dans le processus d’éducation et a permis aux prisonniers de s’inscrire dans des établissements d’enseignement, ce qui était crucial pour eux du fait du nombre croissant de prisonniers qui voulaient poursuivre une carrière universitaire. Cependant, le service pénitentiaire israélien – soutenu par la Haute Cour israélienne – a continué à restreindre le droit à l’éducation des prisonniers. Voici, ci-après, un résumé de l’histoire de la lutte des prisonniers politiques palestiniens pour leur droit à l’éducation.
Au moment de la signature des accords d’Oslo en 1993, les luttes et les efforts continus des prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes leur avaient permis de conquérir le droit d’avoir des livres et des bibliothèques dans les prisons. Les prisonniers organisaient des débats éducatifs et culturels sur de nombreuses questions liées aux droits des prisonniers et à la résistance palestinienne.
Dans le cadre de l’accord des accords d’Oslo, des milliers de prisonniers politiques palestiniens arrêtés pendant l’Intifada ont été libérés. Bien qu’un nombre exorbitant de prisonniers soit toujours incarcéré, ce changement a affaibli la lutte des prisonniers, ce qui a, à son tour, affecté le cadre culturel établi par les prisonniers à l’époque. Les discussions culturelles animées se sont faites moins fréquentes et leur objectif a changé, tout comme la capacité des prisonniers à organiser des grèves de la faim et d’autres formes d’action collective pour obtenir le respect de leurs droits.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui avait auparavant joué un rôle essentiel en fournissant des livres, du matériel éducatif et des jeux de QI dans les prisons, en particulier pour les enfants détenus, a commencé à se retirer au milieu des années 1990, jusqu’à disparaître totalement de certaines prisons.
Suite à l’évolution du mouvement des prisonniers et à l’abandon du CICR au milieu des années 1990, les prisonniers se sont réorganisés pour donner la priorité à l’accès à l’éducation en tant que demande collective. La grève de la faim de 1992, à laquelle des milliers de prisonniers ont participé et qui a duré 19 jours, a débouché sur plusieurs victoires. Tout d’abord, les prisonniers ont été – pour la première fois – autorisés à se présenter à l’examen du certificat d’enseignement secondaire, connu sous le nom de “tawjihi” – pour obtenir leur diplôme d’études secondaires.
Cette victoire, très importante pour ces prisonniers dont les études avaient été interrompues pendant des décennies, était toutefois incomplète car elle se limitait aux humanités, l’Occupation israélienne leur refusant toujours l’accès aux diplômes de sciences ou de mathématiques.
En outre, les prisonniers n’avaient accès qu’à un nombre limité de programmes académiques à l’Université ouverte israélienne, tels que la théologie, la sociologie, la finance et l’administration des affaires, la psychologie et les sciences politiques. De plus, les prisonniers ont dû mener une bataille difficile pour obliger le service pénitentiaire israélien (IPS) chargé de faciliter le processus à respecter l’accord au lieu de délibérément entraver sa mise en œuvre de toutes sortes de manières. Par exemple, l’IPS, qui devait approuver l’inscription à un programme d’études, refusait souvent de le faire sous prétexte de sécurité, de saturation du programme ou d’autres raisons aussi fallacieuses qu’arbitraires.
En outre, il ne fournissait pas le matériel pédagogique à temps aux prisonniers ce qui les empêchait de suivre leurs cours, ou il les transférait sans cesse d’une prison à l’autre pendant le trimestre universitaire ou aux périodes d’examens, obligeant beaucoup d’entre eux à redoubler.
Les restrictions portant sur l’éducation des prisonniers se sont aggravées dans le temps, en particulier, en 2006, quand Israël a appliqué une punition collective comprenant la suppression du droit à l’éducation de nombreux prisonniers parce que le soldat israélien Gilad Shalit avait été capturé lors d’un raid militaire israélien sur Gaza. Les restrictions ont encore augmenté en 2011 après que le Premier ministre israélien de l’époque, Benjamin Netanyahu, a annoncé qu’aucun prisonnier palestinien ne serait plus autorisé à obtenir son diplôme de licence ou de maîtrise en prison, en disant que “La fête est finie” pour les prisonniers politiques.
Le discours de Netanyahu a entraîné l’interdiction totale de l’éducation des prisonniers dans les prisons, et a mis fin à l’examen de tawjihi et aux programmes d’études de l’Université ouverte israélienne pour lesquels les prisonniers s’étaient durement battus. Des prisonniers qui étaient sur le point d’obtenir leur diplôme ont déposé des plaintes devant la Haute Cour israélienne, en vain, car la Haute Cour a jugé l’interdiction légale et admissible. Dans sa décision, la Haute Cour a souligné que l’éducation des prisonniers est un privilège qui peut être retiré si l’IPS le décide.
Il est à noter, cependant, que si le discours de Netanyahu était une annonce publique de la suppression des droits des prisonniers, l’IPS avait déjà annulé les programmes éducatifs dans la plupart des prisons en 2008. Netanyahu n’a fait qu’entériner les faits.
Les prisonniers palestiniens à qui les voies officielles d’accès à l’éducation étaient interdites ont continué à se battre pour le droit à l’éducation par tous les moyens. Ils ont tenté de combler le fossé en organisant des discussions culturelles, des sessions d’alphabétisation, des ateliers éducatifs, en créant des bibliothèques à l’intérieur des prisons, et en se procurant des journaux et des magazines pour les prisonniers. Beaucoup de ces alternatives n’étaient pas nouvelles, mais elles ont pris de l’importance quand il est devenu impossible aux prisonniers de s’inscrire à l’Université Ouverte israélienne.
De plus, les prisonniers eux-mêmes ont joué un rôle clé dans le processus éducatif en s’enseignant mutuellement les langues et d’autres connaissances.
En 2013, les prisonniers ont travaillé avec les ministères palestiniens concernés pour pouvoir passer l’examen de tawjihi en prison. En outre, les prisonniers ont établi des liens avec certaines universités palestiniennes et ont développé des programmes de licence et de maîtrise qui ont permis à des dizaines de prisonniers d’obtenir leur diplôme au fil des ans.
Les autorités israéliennes trouvent sans cesse de nouveaux moyens d’empêcher les prisonniers d’étudier, sans compter que cela fait des années qu’elles interdisent les livres éducatifs dans les prisons et qu’elles confisquent régulièrement les livres et autres matériels éducatifs que les prisonniers réussissent à faire entrer dans les prisons. En 2018, l’IPS a confisqué environ 2000 livres à la prison de Hadarim, détruisant la bibliothèque qu’ils avaient mis des années à édifier. De plus, l’IPS punit en les transférant dans d’autres prisons ou cellules les prisonniers qui essaient de poursuivre leurs études au-delà des murs de la prison.
Les femmes et les enfants emprisonnés sont soumis aux mêmes restrictions. Bien que les tribunaux israéliens aient statué en 1997 que les enfants prisonniers pouvaient poursuivre leur éducation selon le programme palestinien, c’est loin d’être le cas. L’IPS n’autorise les enseignants du ministère israélien de l’éducation qu’à enseigner deux matières (arabe et mathématiques), ce qui entrave gravement le développement de l’enfant. Le nombre limité de matières et l’irrégularité des cours affectent énormément leurs études.
Les restrictions continues et systématiques imposées par Israël sont une violation du droit à l’éducation garanti par de nombreuses conventions internationales, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant.
Le droit à l’éducation est également garanti par le droit international humanitaire. L’article 94 de la quatrième Convention de Genève stipule que “la Puissance détentrice doit encourager les activités intellectuelles, éducatives et récréatives, les sports et les jeux parmi les internés, tout en les laissant libres d’y participer ou non. Elle doit prendre toutes les mesures possibles pour assurer leur exercice, notamment en mettant des locaux appropriés à la disposition des prisonniers. Tous les moyens nécessaires doivent être mis à la disposition des prisonniers pour leur permettre de poursuivre leurs études ou de s’inscrire à de nouvelles disciplines.
L’éducation des enfants et des jeunes doit être assurée ; ils doivent être autorisés à fréquenter l’école dans la prison ou à l’extérieur. Les prisonniers doivent avoir la possibilité de faire de l’exercice, de pratiquer des sports et des jeux de plein air. A cet effet, il doit y avoir assez d’espaces à ciel ouvert dans tous les lieux d’internement. Des aires de jeux spéciales doivent être réservées aux enfants et aux adolescents”.
En outre, l’article 77 de Règles minima pour le traitement des détenus des Nations Unies stipule que : “Des dispositions doivent être prises pour assurer la formation continue de tous les détenus capables d’en tirer profit, y compris l’instruction religieuse dans les pays où cela est possible. L’éducation des analphabètes et des jeunes détenus est obligatoire et une attention particulière doit lui être accordée par l’administration. Dans la mesure du possible, l’éducation des détenus doit être intégrée au système d’enseignement du pays, afin qu’ils puissent, après leur libération, poursuivre leurs études sans difficulté. Des activités récréatives et culturelles doivent être offertes dans tous les établissements pour maintenir la santé mentale et physique des détenus”.
Non seulement la puissance occupante interdit aux prisonniers palestiniens de jouir du droit à l’éducation, mais elle continue à cibler et à arrêter délibérément les étudiants palestiniens. Rien qu’en 2019, le nombre d’étudiants palestiniens emprisonnés s’élevait à environ 250-300. En 2019, environ 75 étudiants de la seule université de Birzeit ont été arrêtés simplement parce qu’ils étaient membres actifs d’associations d’étudiants.
Auteur : Addameer
* ADDAMEER (mot arabe signifiant la « conscience ») Prisoner Support and Human Rights Association, est une institution civile non gouvernementale palestinienne qui œuvre en faveur des prisonniers politiques palestiniens détenus dans les prisons israéliennes et palestiniennes. Créé en 1991 par un groupe de militants motivés par la question des droits de l'homme, le centre offre une aide juridique gratuite aux prisonniers politiques, défend leurs droits au niveau national et international, et s'efforce de mettre fin à la torture et aux autres violations des droits des prisonniers par le biais d'une surveillance, de procédures juridiques et de campagnes de solidarité.Le compte twitter.
26 janvier 2020 – Addameer – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet