Par Zena al-Tahhan
Le 22 octobre, Israël a désigné six groupes importants de la société civile et des droits de l’homme en Palestine comme des organisations “terroristes”. Cette désignation a été largement condamnée par la communauté internationale et les groupes de défense des droits comme étant “injustifiée” et “sans fondement”.
Cinq de ces organisations sont palestiniennes : Addameer, Al-Haq (Al-Haq), Bisan, l’Union of Agricultural Work Committees (UAWC), et l’Union of Palestinian Women’s Committees (UPWC).
La sixième est la section palestinienne de l’organisation Defense for Children International-Palestine (DCI-P), basée à Genève.
Certaines de ces organisations mènent un travail essentiel en matière de défense des droits de l’homme – notamment en documentant les violations de ces droits commises par Israël, en assurant une aide juridique aux détenus, en menant des actions de plaidoyer au niveau local et international, et en travaillant avec la Cour pénale internationale (CPI) et les Nations unies.
D’autres, comme l’UAWC, apportent une aide concrète aux Palestiniens, notamment en réhabilitant des terres qui risquent d’être confisquées et en aidant des dizaines de milliers d’agriculteurs de la zone C. Cette zone représente plus de 60 % de la Cisjordanie occupée sous contrôle militaire israélien direct, où se trouvent toutes les colonies israéliennes illégales et leurs infrastructures.
Les organisations de la société civile, qui obtiennent la plupart de leurs fonds des États donateurs, constituent un pilier essentiel du développement social et économique des Palestiniens vivant dans les territoires occupés depuis 1967.
La décision israélienne du 22 octobre a été prise sous le prétexte que ces groupes sont affiliés au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un mouvement marxiste, affirmant qu’ils “constituent un bras de la direction [du FPLP], dont l’activité principale est la libération de la Palestine et la destruction d’Israël”.
La branche armée du FPLP était active en tant que corps organisé pendant la deuxième Intifada et a mené des attaques contre des cibles israéliennes.
Le gouvernement israélien n’a fourni aucune preuve à l’appui de ses affirmations concernant les six organisations et cette désignation “donne toute latitude aux autorités israéliennes d’occupation à fermer leurs bureaux, à saisir leurs biens et à arrêter et emprisonner les membres de leur personnel. Elle interdit également de financer ou même d’exprimer publiquement un soutien à leurs activités”, selon une déclaration des groupes de défense des droits Human Rights Watch et Amnesty International.
Les membres d’organisations désignées comme “terroristes” peuvent être poursuivis pénalement pour leur appartenance ou leur affiliation au groupe.
Mardi 26 octobre, la Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a dénoncé cette décision comme une “attaque contre les défenseurs des droits de l’homme, contre les libertés d’association, d’opinion et d’expression et contre le droit à l’engagement public, et qui devrait être immédiatement révoquée”.
“La législation antiterroriste ne doit pas être appliquée à des activités légitimes humanitaires et de défense des droits de l’homme”, a déclaré Mme Bachelet, ajoutant que les groupes incriminés “risquent de subir de lourdes conséquences à la suite de cette décision arbitraire, tout comme les personnes qui les financent et travaillent avec eux.”
Dans une déclaration signée mercredi par plus de 250 groupes de défense des droits locaux, régionaux et internationaux, les signataires ont déclaré que la décision israélienne “s’inscrit dans le contexte de la poursuite des attaques de l’État d’occupation et d’apartheid contre les droits du peuple palestinien, en particulier son droit de lutter, sous toutes ses formes, pour la liberté, le retour [sur ses terres], l’autodétermination et la construction de son État palestinien indépendant”.
Campagnes de diffamation et de dé-financement
Certains des groupes visés ont déclaré que la désignation “terroriste” était le dernier volet des efforts déployés de longue date par Israël pour étouffer le travail et les voix des organisations de la société civile et des groupes de défense des droits des Palestiniens.
Depuis 1967, Israël a interdit plus de 400 organisations locales et internationales comme étant “hostiles” ou “illégales”, y compris tous les principaux partis politiques palestiniens – dont le Fatah, parti au pouvoir de l’Autorité palestinienne, et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), avec laquelle Israël a pourtant signé les accords d’Oslo en 1993.
Les autorités israéliennes d’occupation ont également apposé ces désignations sur des dizaines d’organisations caritatives et d’information en Palestine, et s’en sont servies pour faire des descentes dans leurs bureaux, émettre des ordres de fermeture, procéder à des kidnappings et des emprisonnements, et juger régulièrement des personnes pour avoir exercé des droits civils fondamentaux et critiqué l’occupation israélienne.
Ces groupes sont depuis longtemps la cible de campagnes de dénigrement, de diffamation et de dé-financement par des groupes de pression israéliens et internationaux tels que NGO Monitor et UK Lawyers for Israel, en coopération avec le gouvernement israélien avec lequel ils entretiennent des liens étroits.
Les campagnes de dénigrement ont également conduit à un nouveau renforcement des restrictions de financement par les États donateurs sur fond d’allégations de “terrorisme” et d’ “antisémitisme”.
Au début de l’année 2020, l’Union européenne (UE) a publié des clauses “anti-terroristes” supplémentaires pour les contrats de financement accordés aux organisations de la société civile en Palestine, imposant des processus de vérification et de sélection toujours plus stricts.
La Campagne nationale palestinienne pour le rejet du financement conditionnel s’est formée dans la foulée de cette initiative, condamnant la décision comme ayant “des conséquences dramatiques car elle jette les bases d’un système de filtrage et de contrôle généralisé de l’ensemble de la société civile palestinienne”.
“Ces conditions politiques ont paralysé la marge d’action de la société civile palestinienne, privé le peuple palestinien de ses moyens d’action et renforcé le statu quo politique, sapant ainsi les revendications des Palestiniens concernant leurs droits humains légitimes”, a écrit le Badil Resource Center for Palestinian Residency and Refugee Rights dans une prise de position en avril 2020.
Badil a déclaré que dans le contexte de l’ère post-11 septembre, la législation “antiterroriste” est maintenant “brandie comme une arme pour étouffer la société civile palestinienne et empiéter sur la portée des droits légitimes du peuple palestinien”.
“Le danger de tout cela est que ces lois deviennent internationales – ils essaient, par le biais de cette ‘guerre contre le terrorisme’ que les États-Unis ont inventée, d’imposer toutes ces restrictions”, a déclaré Francis à Al Jazeera. “Israël a utilisé cette loi pour acculer ces pays et dire : ‘Je me bats avec vous, contre le terrorisme’.”
En juillet 2020, le gouvernement néerlandais a annoncé qu’il suspendait le financement de l’UAWC, l’une des six organisations ciblées, en attendant un examen.
Et, au début du mois, les Palestiniens de la bande de Gaza assiégée ont protesté contre un nouveau cadre de deux ans signé entre l’Agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) et le gouvernement américain, qui a introduit des clauses “anti-terroristes” sur le financement, et des dispositions sur le contrôle des programmes scolaires.
Malgré tous ces précédents, les critiques estiment que la désignation de six organisations comme entités “terroristes” constitue une escalade dangereuse.
Escalade répressive et dangereuse
Alors qu’Israël applique une loi militaire sévère et un système de tribunaux militaires en Cisjordanie occupée, il a utilisé un droit pénal national pour criminaliser les organisations listées le 22 octobre.
“Cela n’est pas légal. Israël n’a aucune autorité pour appliquer cette loi à la Cisjordanie occupée”, a déclaré Francis.
En 2019, un dérivé de la loi “antiterroriste” a été publié sous la forme d’un ordre militaire pour la Cisjordanie occupée.
Selon elle, l’utilisation par Israël du droit pénal national dans ce cas fait partie de sa stratégie visant à faire peur aux donateurs et à aller au-delà des limites de la loi militaire qui pourrait être rejetée par les donateurs comme une simple extension de l’occupation.
“Il s’agit d’effrayer les donateurs et de disposer d’une carte juridique contre toute partie internationale qui tente de nous maintenir en place ou de nous soutenir financièrement”, a déclaré à Al Jazeera Sahar Francis.
“Maintenant, Israël peut poursuivre en justice toute partie qui nous donne de l’argent – c’est l’objectif”, a-t-elle poursuivi.
La “loi antiterroriste” de 104 pages a été publiée en juin 2016 et comprend des dispositions sur le financement du “terrorisme”. Elle prévoit des peines de prison allant de cinq à 25 ans pour le personnel et les membres des organisations désignées, prévoit la confiscation des biens et la fermeture de l’organisation.
Elle a également introduit de nouvelles infractions pénales telles que l’expression publique de soutien aux organisations “terroristes”, assorties de trois à cinq ans de prison.
Au moment de sa publication, la législation a été décrite principalement comme une menace pour les 1,8 million de Palestiniens vivant à l’intérieur d’Israël, mais elle pourrait menacer les dons aux groupes humanitaires en Cisjordanie ou à Gaza en les accusant d’aider le “terrorisme”.
Adalah, le principal groupe de défense juridique palestinien en Israël, avait déclaré à l’époque que la loi “peint les activités et l’expression politiques des Arabes en Israël – y compris celles de nature sociale, humanitaire et caritative – d’une façade hostile et violente, en les re-classifiant comme des actes de terrorisme”.
Francis a déclaré que l’utilisation par Israël de la loi “anti-terreur” dans ses désignations était la mesure la plus radicale à ce jour, après des années de pression sur la société civile palestinienne.
“Ces organisations subissent cette attaque depuis de nombreuses années – cela n’a pas fonctionné pour Israël, alors ils nous ont appelés terroristes. Et de cette façon, ils ont les outils juridiques pour forcer les pays à suivre docilement leurs directives.”
Auteur : Zena al-Tahhan
* Zena al-Tahhan est journaliste à Al Jazeera. Elle couvre principalement le monde arabe, avec une spécialisation sur les pays du Levant. Avant de rejoindre Al Jazeera, Zena était journaliste indépendante basée à Jérusalem. Suivez Zena al-Tahhan sur Twitter : @Zenatahhan
28 octobre 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine