Mahmoud Zidan – Mohammad al-Qeeq, le journaliste palestinien, placé en détention administrative par l’armée coloniale israélienne depuis plus de trois mois, a finalement triomphé de ses oppresseurs.
Pourtant, sa victoire n’est pas due aux armes avec lesquelles cette région infestée de guerres est trop familière. Son arme principale était, et est encore, sa volonté. Grâce à elle, il a affirmé qu’il était un individu libre, encore et toujours.
Avant son héroïque combat d’une grève de la faim longue de 94 jours, al-Qeeq avait été arrêté à plusieurs reprises. Il n’avait pas été arrêté parce qu’il avait violé « la loi ». Il a été arrêté parce qu’Israël puni les Palestiniens pour être des Palestiniens et surtout parce qu’il cible toute personne qui expose un récit alternatif, véridique, à ses crimes contre l’humanité.
L’objectif de ces pratiques criminelles est que les Palestiniens capitulent devant cette fiction imposée sur le terrain, c’est-à-dire ce récit mensonger d’Israël qui a été réfuté par les ainsi-nommés nouveaux historiens israéliens tels que Ilan Pappe et Benny Morris.
Grâce à son travail en tant que journaliste, pour l’agence saoudienne al-Majd, Mohammed al-Qeeq, a avec force voulu réfuter cette fiction en l’exposant comme elle doit l’être. Il ne faisait que son travail ; qui est l’exposition de la vérité. Quand il a été arrêté le 21 novembre 2015, sa femme, Fayhaa Shalash, journaliste elle-même, a montré à l’officier israélien sa carte de presse internationale, mais l’officier israélien n’en a pas tenu compte une seconde.
Mais pourquoi Mohammad a-t-il été arrêté cette fois-là ? Nous ne le savions pas. Mais ce qui nous a été dit, c’est que Mohammad faisait l’expérience de la tristement célèbre « détention administrative ».
La « détention administrative », selon B’Tselem, le Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés, est « la détention sans inculpation ni jugement, autorisée par ordonnance administrative et non par décision judiciaire. »
B’Tselem ajoute que, bien que la la pratique elle-même est admissible en droit international, Israël en abuse largement. Non seulement il nie aux détenus tout accès à toute forme de défense, mais il les emprisonne également indéfiniment, en renouvelant constamment leur période de détention administrative. Aujourd’hui, il y a plus de 600 prisonniers palestiniens en détention administrative en Israël.
Toute personne sensée ne peut supporter ce genre de détention, surtout quand elle est accompagnée de conditions difficiles, dont la torture et les mauvais traitements. Ainsi, les Palestiniens ont toujours légitimement protesté contre cette mesure cruelle, par différents moyens de sorte qu’ils puissent connaître leur accusation, être jugés et si possible libérés.
Cela ne veut pas dire que le système judiciaire israélien est idéologiquement neutre et les libérera. Le plus souvent, celui-ci est juste un rouage de la machine répressive israélienne.
Malgré ces légitimes mouvements de protestation, l’armée israélienne refuse toujours de céder et joue la provocation, si bien que les détenus ou prisonniers n’ont pas d’autre choix que de se lancer dans des grèves de la faim. Al-Qeeq est seulement le dernier à avoir mené la ainsi-nommée bataille des « ventres vides », qu’il a terminé à l’hôpital HaEmek à Al-Afula. Son corps était si faible qu’il était incapable de parler, mais la voix de son esprit était beaucoup plus forte que les mensonges de ses oppresseurs. Oui, al-Qeeq a triomphé.
Cependant, ne mettre que lui en évidence serait une erreur, car sa grève – appelée à tort « résistance passive » – n’est qu’une petite partie d’un combat collectif, global.
Tout d’abord, il a été précédé par Abd Al Qader Abul Fahem (1970), Rassem Halawah et Ali Al-Jaafari (1980), Mahmoud Freitikh (1984), Hussein Nimer Obeidat (1992) – morts, ou plutôt tués, en raison de leurs grèves de la faim.
Plus récemment, la grève de al-Qeeq a été précédée, et peut-être inspirée, par la grève de Khader Adnan, qui a également lutté contre la machine répressive israélienne et a triomphé. Al-Qeeq est donc un des membres de cette constellation de personnes héroïques. Al-Qeeq fait aussi partie du peuple palestinien, qui lutte contre la machine coloniale israélienne.
Mais même plaçant son admirable exploit dans un récit national étroit nous ferait passer à côté de l’essentiel. Sa grève fait partie d’une lutte mondiale encore plus large. L’exemple avec le plus de résonance est encore la lutte de Bobby Sands et de neuf autres prisonniers irlandais, qui se sont laissés mourir de faim pour protester contre le traitement cruel auquel ils ont été soumis sous le règne de Margaret Thatcher.
La lutte de Al-Qeeq rappelle aussi celle du Dr Martin Luther King, de Gandhi et bien d’autres. Ces récits de gens remarquables, connus à l’échelle mondiale, sont parfois manipulés par les oppresseurs dans la mesure où l’on admire l’héroïsme de ces personnes tout en oubliant les conditions auxquelles ils résistaient, et en ignorant les récits de millions d’individus restés invisibles bien qu’ayant combattu à leurs côtés.
Dans une récente interview, le militant et chercheur afro-américaine Angela Davis le dit explicitement : « Il est essentiel de résister à la représentation de l’histoire comme le résultat d’individus héroïques, afin que les gens d’aujourd’hui reconnaissent leur pouvoir potentiel en tant que partie d’une communauté de lutte toujours plus large. »
Nous irons dans le même sens que Davis si et seulement si nous n’isolons pas l’exploit de Mohammad al-Qeeq, une personne incontestablement admirable, et si nous le mettons à la place qui est la sienne, dans le cadre plus large d’une lutte globale contre l’oppression.
Bartleby, le héros de Melville, prononça l’inoubliable, « Je préférerai ne pas [avoir à le faire]. »
L’exploit de Mohammad al-Qeeq ne doit pas être interprété comme un cri isolé. Il faut le considérer comme un élément de la mosaïque palestinienne et mondiale de la résistance.
5 mars 2016 – The Palestine Chronicle