Par Rima Najjar
La pandémie de COVID 19 aux États-Unis a donné lieu à un phénomène intéressant, l’idée que si les gens « s’abritent chez eux » ou évitent les lieux très fréquentés, ils seraient joignables en ligne et plus disposés à entendre les appels qu’adressent les opprimés à leur cœur et à leur esprit.
Et s’il est clair maintenant que le nombre de personnes qui ont la patience de suivre pendant une heure ou deux un discours intelligent sur les questions concernant Black Lives Matter (les Vies Noires Comptent) ou les Amérindiens ou les Palestiniens ou bien une combinaison de deux ou des trois s’amenuise, quelques webinaires attirent encore une foule enthousiaste. Ce fut le cas le 14 juillet du webinaire intitulé, ‘La fin du sionisme : Réflexions et prochaines étapes’.
Haymarket Books, qui a co-sponsorisé le webinaire, a présenté le sujet comme suit :
Le Sionisme : l’affirmation selon laquelle les juifs ont le droit d’établir et de maintenir par la force un état ethno-religieux dans la patrie des Palestiniens et à leurs dépends, était, aux États-Unis du moins, une croyance dominante jouissant du soutien de l’ensemble du spectre politique. Au cours des dernières années, ce consensus s’est effrité. Les Palestiniens dirigent le mouvement BDS mondial qui met en lumière comment le sionisme viole les droits de tous les Palestiniens, et les jeunes générations d’Américains dont des juifs, se détournent d’une idéologie de plus en plus ouvertement alignée sur les forces suprématistes blanches de droite les plus réactionnaires. Des changements similaires se produisent partout dans le monde. Bien que le sionisme soit idéologiquement en recul, Israël garde un pouvoir immense et une totale impunité.
Qu’est-ce qui peut lever cet apparent blocage, et faire pencher la balance en faveur de la libération des Palestiniens ?
Les intervenants de ce webinaire étaient Ali Abunimah, écrivain, journaliste et administrateur du magazine en ligne largement plébiscité The Electronic Intifada, Philip Weiss, écrivain, journaliste et fondateur du blog Mondoweiss, et Nada Elia, militante, enseignante, écrivaine et commentatrice politique. J’étais l’une de plus de 600 personnes qui ont suivi en direct la diffusion (15 h plus tard, la vidéo sur You Tube a enregistré 1628 vues).
En tant que militante palestinienne, je suis en phase avec les trois orateurs et je suis leurs écrits depuis des années. Ali est mon cousin, Nada est une collègue militante de USACBI et de Palestine Writes, et la voix de Phil, en tant que voix juive, est une source d’espoir pour moi en tant que Palestinienne. Et l’espoir, c’est ce que célébrait ce webinaire. L’évènement était attendu avec enthousiasme, pas seulement en raison des personnes qui devaient prendre la parole mais également en raison de son intitulé.
Ces trois personnes ont parlé de ce que le journalisme de masse aborde rarement, l’inévitabilité de la disparition du sionisme, c’est-à-dire, l’effondrement de la légitimité d’Israël. Ils ont même discuté de l’idée de justice dans une société civile post sioniste dans un seul état démocratique sur l’ensemble de la Palestine.
Sur la question du soutien récent de Peter Beinart à un seul état, Ali Abunimah s’est félicité de son changement d’avis, mais a dit que M. Beinart devrait reconnaitre le rôle de gardien du temple qu’il a tenu pendant si longtemps, en utilisant notamment la solution à deux états comme solide étai ou couverture du fondement raciste du sionisme, ce que des groupes juifs comme IfNotNow et J Street continuent de camoufler.
Parmi les nombreuses questions que se posent souvent les Palestiniens et que Nada Elia a exprimées, il y avait celle que mon propre esprit formule ainsi, « Jusqu’à quand, Oh Seigneur ? », en référence au temps qu’il faudra avant l’effondrement du sionisme. J’ai beaucoup aimé l’utilisation par Philip Weiss d’une citation tirée de The Sun also Rises (Le Soleil se lève aussi ), pour donner un sens, souligné aussi par Ali Abunimah, à la façon dont le mécanisme des bouleversements sismiques tels que la chute du mur de Berlin et de l’ancienne Union Soviétique ou de l’Afrique du Sud de l’apartheid peut sembler à un certain niveau à la fois mystérieux ou surprenant dans leur manifestation soudaine. Comment le sionisme va-t-il prendre fin ? De la même façon dont le personnage de Mike Campbell dans le roman d’Hemingway a fait faillite : « De deux façons, » a dit Mike. « peu à peu, puis soudainement. »
Philip Weiss a aussi mentionné un élément d’information intéressant auquel il a consacré un article. Il semblerait que David Harris, directeur exécutif de l’American Jewish Committee (AJC), subisse des pressions de la part de donateurs sionistes libéraux pour qu’il adopte une position très dure à l’égard des politiques de droite d’Israël, une fois de plus pour servir de béquille ou de couverture.
L’un des sujets les plus intéressants discutés était celui du mouvement Boycott, Désinvestissement, et Sanctions (BDS), en particulier le rôle efficace qu’il joue dans la remise en cause du sionisme libéral plutôt que du sionisme pur et dur. BDS n’est pas un mouvement de libération ; il se fait l’avocat des droits des Palestiniens. Seul un mouvement de libération, de mon point de vue, peut s’attaquer au sionisme pur et dur. Seule la pression combinée de ces deux mouvements de résistance peut aboutir, celle des Palestiniens de la diaspora et celle au coût plus élevé en termes de souffrance et de sacrifices à l’intérieur. Et en ce qui concerne les prochaines étapes ? Nous devons maintenir la pression.
Voici ci-dessous la conclusion d’Ali Abunimah :
Il n’y a aucune contradiction entre la lutte des Palestiniens en Cisjordanie et la lutte des Palestiniens à l’extérieur ou celle des Palestiniens à Gaza. Le message unificateur et les revendications unificatrices de BDS sont très puissants … ces revendications ne sont pas radicales au sens où nous réclamons la justice, nous réclamons l’application de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme mais il n’y a pas non plus de plafond, en d’autres termes, il n’y a pas de limites à ce que nous réclamons en termes de justice et d’égalité, c’est une exigence inclusive et la seule chose que la justice menace c’est l’injustice.
Aussi, lorsque vous parlez de ce à quoi l’avenir ressemblerait ou ce à quoi il pourrait ressembler ou ce à quoi nous voudrions qu’il ressemble, nous voulons que ce soit une justice générale qui englobe tout, une justice décolonisatrice, qui inclut tout le monde.
Le bénéfice pour les Palestiniens, l’obtention de leurs droits, le retour des Palestiniens dans leur propre patrie se fait aussi dans un contexte où toutes les personnes, qui vivent actuellement en Palestine historique peuvent vivre dans une situation de justice, donc il n’y a pas de plafond en termes de justice, mais ce que nous réclamons en termes de droits internationaux est très minime et c’est un programme qui inclut tous les Palestiniens.
… Deux choses que je voudrais dire : l’une c’est que en 2017 Le Reut Institute et la Anti-Defamation League — deux think tanks sionistes pro Israël – ont produit un rapport secret dont nous avons pu avoir une copie et que nous avons publié et sur lequel nous avons écrit. Et l’une des révélations, l’une des nombreuses révélations, était que le lobby israélien avait jusque-là augmenté ses dépenses en matière de hasbara, de propagande, les avait multipliées par vingt pour parvenir à combattre le mouvement BDS, pour parvenir à combattre le mouvement de solidarité avec la Palestine, et de leur propre aveu, en dépit d’avoir multiplié par vingt leur dépenses ils avaient été incapables d’arrêter ce qu’ils appellent la croissance significative et le succès de ce mouvement. Ce n’est certainement pas une raison pour nous reposer sur nos lauriers, mais au contraire une invitation à poursuivre tout le travail que nous faisons.
Et la deuxième chose que je voudrais dire s’adresse en particulier aux jeunes, surtout à ceux qui entrent dans la vie professionnelle ou qui sont à l’université. Nous avons appris une chose, c’est que notamment l’Establishment du Parti Démocrate et l’ère Clinton ont constamment soumis les gens à un lavage de cerveau pour les convaincre que l’on ne peut demander que de petites réformes, que de petits ajustements à la marge. Et c’est toujours ce que le Parti Démocrate offre.
Et je pense que ce que les jeunes nous ont appris, en particulier ce que le mouvement Black Lives Matter mené par des Noirs nous a appris, ce qu’il nous apprend en ce moment, c’est que vous devez réclamer tout ce que vous voulez et méritez, et que c’est votre droit. Même si, en fin de compte vous obtenez moins, même si vous allez devoir faire des compromis ou trouver un arrangement à la fin, ce que nous ne devrions pas faire, mais il n’y a pas d’inconvénient à réclamer tous vos droits, à exiger tous vos droits.
Et c’est certainement vrai en ce qui concerne la Palestine. Nous devons réclamer tous nos droits, nous devons nous battre pour eux, nous devons espérer les obtenir. Si vous demander cinq pour cent ou 20 pour cent ou 50 pour cent, et bien c’est le maximum que vous pouvez espérer.
Et en ce moment où tout bouge, où tout s’effondre, où toutes les institutions nous ont laissés tomber, où la classe politique nous dit en gros « allez vous faire F.. » vous savez, Démocrates et Républicains compris, il n’y a aucune raison de ne pas vraiment exiger un autre monde. Et voir la jeune génération exiger cela, c’est ce qui me donne beaucoup d’espoir et l’envie de continuer. Donc je veux adresser mes remerciements aux jeunes militants qui font cela et aussi leur dire, s’il vous plait ne lâchez pas, s’il vous plait n’acceptez ni ne demander moins que ce que vous méritez, et quand vous obtiendrez tout ce que vous avez réclamé, ne vous contentez pas d’un oui. Exigez plus.
Auteur : Rima Najjar
* Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille du côté paternel vient du village de Lifta dans la banlieue ouest de Jérusalem, dont les habitants ont été expulsés. C’est une militante, chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise, Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée. Ses articles sont publiés ici.Son compte Twitter.
15 juillet 2020 – medium.com – Traduction: Chronique de Palestine – MJB