Par Abdel Bari Atwan
Abu Dhabi a deux alternatives : soit l’escalade de la guerre au Yémen, soit le retrait, écrit Abdel Bari Atwan.
Deux questions sont soulevées par les attaques au missile et au drone du mouvement Houthi Ansarullah contre les aéroports d’Abu Dhabi et de Dubaï, ainsi que contre une raffinerie et une installation de stockage de pétrole aux EAU.
La première concerne les motifs de l’attaque. La seconde concerne la réponse à plus long terme des Émirats : persisteront-ils dans leur réengagement violent dans la guerre au Yémen après trois ans de semi-désengagement, ou opteront-ils pour un retrait complet comme cela avait été dit en 2019 pour éviter des pertes potentiellement écrasantes ?
Les Houthis, qui ont frappé toutes les cibles saoudiennes qu’ils pouvaient ces dernières années, ont longtemps évité de cibler les Émirats arabes unis, bien que ces derniers fassent partie de la ainsi-nommée “coalition arabe” et de l'”opération Tempête du désert” lancée en 2015 par le prince héritier saoudien Muhammad Bin-Salman – qui s’était engagé à l’époque à faire une entrée conquérante à Sanaa.
Lorsque des interlocuteurs proches des Houthis sont interrogés sur les raisons de cette exception, ilss avancent un certain nombre de points :
(1) Ils ne voulaient pas ouvrir deux fronts simultanément – les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite – tout en combattant sur de multiples fronts chez eux (contre le parti Islah, le Conseil de transition du Sud, l’armée “légitime”, et d’autres).
(2) Ils ont conclu un accord informel avec les Émirats arabes unis, qui leur permet d’opérer librement au Yémen du Sud à condition qu’ils se tiennent à l’écart du Nord, tant sur le plan militaire que politique.
(3) Leurs alliés iraniens veulent rester en bons termes avec les Émirats – en particulier Dubaï qui est leur principal canal pour contourner les sanctions américaines – avec lesquels ils réalisent plus de 14 milliards de dollars d’échanges commerciaux par an.
(4) La décision prise par les Émirats arabes unis en 2019 de se retirer progressivement du Yémen, après qu’environ 150 de leurs soldats ont été tués dans ce pays et des centaines d’autres blessés (dont un gendre du dirigeant de facto Muhammad Bin-Zayed).
Mais tout cela a changé lorsque les Émirats arabes unis ont fait un retour en force dans le conflit au Yémen, notamment dans les batailles pour Shabwa, Ma’rib et al-Bayda. Ils ont lancé une guerre par procuration contre les Houthis en utilisant les “Brigades des géants” dirigées par le général Tareq Affash (fils de l’ancien président Ali Abdallah Saleh) et diverses factions du sud.
Cette guerre a bouleversé toutes les données sur le terrain : elle a stoppé les avancées d’Ansarullah sur ces fronts, lui a fait perdre le contrôle de la province de Shabwa, riche en pétrole, lui a infligé de fortes pertes dans ses rangs et a donné le dessus aux forces du “gouvernement légitime” à Ma’rib, qui était sur le point de s’effondrer.
Après plusieurs jours d’hésitation – au cours desquels des consultations ont été menées avec les chefs de tribus yéménites alliés et avec leurs soutiens à Téhéran et à Beyrouth – les Houthis ont décidé de riposter contre les EAU. Mais de manière réfléchie et mesurée, et avec beaucoup plus de retenue qu’ils ne l’ont fait contre l’Arabie saoudite.
L’objectif était d’envoyer un message d’avertissement aux Émirats arabes unis : “Vous avez rompu l’accord… Si vous revenez dessus, nous ferons de même. Vous avez été prévenus.” Ces mots sont cités textuellement dans la source houthie citée plus haut.
La réponse militaire émiratie a été rapide. En moins de 24 heures, une frappe aérienne a été lancée contre le domicile du directeur de l’académie de l’armée de l’air, le général à la retraite Abdallah Qasem al-Juneid, dans le centre de Sanaa.
Trois familles vivaient dans le bâtiment. Environ 23 civils ont été tués et des dizaines ont été blessés dans la pire attaque de ce type depuis des années.
Après les attaques de drones et de missiles des Houthis et les frappes aériennes émiraties de représailles sur Sanaa, les Émirats arabes unis ont deux options. Ils pourraient rétablir la “trêve” de 2019 avec les Houthis, ce qui signifierait qu’ils ordonneraient à leurs supplétifs de se retirer immédiatement des fronts de bataille de Shabwa, Ma’rib et Bayda et de retourner à leurs anciennes bases sur la côte sud-ouest.
Ils pourraient aussi poursuivre la guerre par procuration sur ces fronts et peser de tout leur poids pour renforcer la position chancelante de leurs alliés saoudiens, conformément à l’accord conclu avec le prince héritier saoudien Muhammad Bin-Salman lors de sa visite à Abu Dhabi le mois dernier.
Quel choix les dirigeants émiratis feront-ils ? La première option est difficile, car elle impliquerait de se retirer de l’alliance dirigée par l’Arabie saoudite et d’accroître les tensions avec Riyad, tout en faisant échouer les ambitions militaires de leurs alliés sud-yéménites.
Mais la deuxième option pourrait s’avérer encore plus coûteuse. Les Houthis pourraient poursuivre et intensifier leurs attaques de représailles et viser les infrastructures pétrolières et touristiques des EAU.
Bien que les frappes de drones et de missiles de cette semaine étaient attendues, elles constituent un développement sérieux qui change les règles d’engagement et marque le début d’une nouvelle étape imprévisible dans la guerre du Yémen.
Si Israël – qui est aussi éloigné de Sanaa qu’Abu Dhabi – a commencé à s’inquiéter des frappes de missiles et de drones des Houthis, que doivent éprouver les membres de la “Coalition arabe” ?
Ce bombardement sans précédent des Émirats arabes unis va soit accélérer les efforts visant à mettre fin à la guerre au Yémen, soit conduire à son escalade et à son expansion – avec d’autres parties régionales qui alors s’impliqueront (y compris les composantes de l’Axe de la résistance), comme c’est le cas en Syrie.
Les surprises de la nouvelle année ont commencé à se révéler plus rapidement que prévu.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
19 janvier 2022 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine