Lors de la conférence, organisée par le Center for Islam and Global Affairs (CIGA) de l’Université Sabahattin Zaim d’Istanbul, plus de 25 intervenants venus de près de 10 pays ont débattu sur le thème : “La question de Palestine : Examiner l’histoire, la géopolitique et les perspectives d’avenir”. Il y avait parmi les intervenants, Salman Abu Sitta, Rabab Abdulhadi, Ilan Pappe, Rawan Al-Damen, Na’eem Jeenah et Ramzy Baroud.
Le chef Zwelivelile Mandlesizwe Dalibhunga [ZMD] Mandela, député et membre du Parlement panafricain (PAP), a rappelé à quel point le destin des Palestiniens et celui des Sud-Africains sont liés et a souligné l’importance de rendre visible la lutte palestinienne et d’intensifier chaque campagne de protestation contre l’État d’apartheid d’Israël.
Voici le texte intégral du discours prononcé par le chef Mandela le 27 avril, qu’il a transmis à The Palestine Chronicle :
La grande lutte pour la liberté : Parallèles entre l’Afrique du Sud et la Palestine
Honorable directeur du programme ;
Membres respectés du milieu universitaire ;
Distingués délégués à la Conférence ;
Chers collègues et amis ;
Le 27 avril marque une étape importante dans la longue marche de l’Afrique du Sud vers la liberté. En ce jour, il y a 25 ans (27 avril 1994), notre icône mondiale des droits de l’homme, de la justice et de la paix, Nelson Rolihlahla Mandela, avec des millions d’autres Sud-Africains, est allée voter pour la première fois dans une Afrique du Sud libre et démocratique. Ce fut pour nous un événement historique de nous libérer des entraves de 350 ans de colonisation et de décennies de règne brutal de l’apartheid. Ce moment victorieux était une célébration des sacrifices de nombreuses générations de femmes, d’hommes et d’enfants qui ont collectivement contribué à notre glorieuse lutte pour la liberté ; certains ont payé de leur vie cette liberté.
J’aimerais m’arrêter un instant pour leur rendre hommage à tous et aussi pour rendre hommage à tous les membres du mouvement mondial anti-apartheid de chaque ville et village du monde. Vos voix dans nos heures les plus sombres ont entretenu la flamme de l’espoir et garder au rêve de liberté sa vigueur alors que nos propres dirigeants étaient incarcérés dans des prisons de l’apartheid comme Robben Island, Pollsmoor, Victor Verster et nos mouvements de libération étaient interdits et qualifiés de terroristes.
Avant de poursuivre, permettez-moi également de rendre hommage aux six millions de réfugiés palestiniens qui se sont vu refuser le droit de retourner dans leur pays natal. Il n’y a pas de parallèle à cela dans notre lutte pour la liberté en Afrique du Sud, du moins pas à cette échelle. Pendant la guerre de Palestine de 1948, environ 720 000 Arabes palestiniens sur les 900 000 qui vivaient dans les territoires devenus Israël ont fui ou ont été expulsés de leurs foyers.
Distingués délégués, le hasard a voulu qu’en cette semaine où nous célébrons la Journée de la liberté, un groupe de jeunes de Khan Younis à Gaza soit venu participer à un tournoi de football au Cap. Cela m’a rappelé les paroles du président Nelson Rolihlahla Mandela lorsqu’il s’est rendu à Gaza en 1995 et a déclaré : “Notre liberté demeure incomplète sans la liberté du peuple palestinien.”
Mon sujet d’aujourd’hui, La Grande lutte pour la liberté, parallèles entre l’Afrique du Sud et la Palestine, n’est donc ni un débat universitaire ni une question que nous prenons à la légère, mais plutôt une question ancrée dans notre expérience de la lutte, de la douleur et du traumatisme. Madiba, après avoir qualifié la lutte pour la liberté en Palestine comme étant intimement liée à notre propre liberté par un cordon ombilical, a décrit la lutte palestinienne comme ” la plus grande question morale de notre temps “.
Ma façon d’aborder le sujet consiste donc à examiner les paramètres de nos deux grandes luttes pour la liberté, en réfléchissant brièvement sur le contexte de la lutte, puis je poursuivrai en considérant certains parallèles clés, explorant, entre autres, les éléments juridiques, géopolitiques, idéologiques et historiques.
Notre propre lutte pour la liberté en Afrique du Sud était enracinée dans notre opposition à la colonisation et à l’impérialisme. Quelques jours après sa libération en février 1990, Nelson Mandela a rencontré le président Cde Yasser Arafat à Lusaka, en Zambie et lui a dit: “Je crois qu’il y a beaucoup de similitudes entre notre lutte et celle de l’OLP” déclarant “Nous vivons sous une forme particulière de colonialisme tant en Afrique du Sud qu’en Israël, et beaucoup de choses en découlent”.
On oublie facilement qu’une grande partie de notre lutte pour la liberté et la libération a été menée à l’époque de la guerre froide. Le régime d’apartheid en Afrique du Sud était soutenu par les gouvernements occidentaux, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni ; non seulement ils ont joué un rôle central dans l’armement du régime brutal d’apartheid, mais les États-Unis, en particulier, ont fourni les renseignements qui ont conduit à l’arrestation de Nelson Mandela en 1962. Aujourd’hui, cette relation inique se perpétue dans le soutien unilatéral des États-Unis à l’État d’Israël et dans leur tolérance du génocide et du nettoyage ethnique les plus horribles.
S’adressant à la Conférence de solidarité afro-arabe à Luanda, en Angola, le 6 décembre 1981, le président de l’ANC O R Tambo nous a rappelé que,
“Nos destins sont liés. Aussi difficile que cela puisse être, la Conférence a la responsabilité de veiller à ce qu’à l’avenir, lorsque le peuple palestinien sera attaqué, celui d’Afrique du Sud ne reste pas les bras croisés…”.
Aucune discussion politique sur les parallèles entre nos luttes ne peut échapper à cette dure réalité. A savoir, dans le cas de la Palestine, la poursuite de l’occupation et de l’expansion agressive des colonies illégales, le sort des six millions de réfugiés de la diaspora palestinienne, les milliers de prisonniers politiques qui languissent dans les prisons israéliennes de l’apartheid, dont des femmes et des enfants, la tentative impérialiste d’annexer Jérusalem, la capitale éternelle, l’humiliation et les affronts infligés quotidiennement aux Palestiniens aux postes frontières et postes de contrôle.
Le 30 novembre 1973, l’Assemblée générale des Nations Unies a ouvert à la signature et à la ratification la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid. Elle a défini le crime d’apartheid comme “actes inhumains commis dans le but d’établir et de maintenir la domination d’un groupe racial de personnes sur tout autre groupe racial de personnes et de les opprimer systématiquement “.
Le crime d’apartheid est défini par le Statut de Rome de 2002 de la Cour pénale internationale comme étant des actes inhumains de nature similaire à d’autres crimes contre l’humanité “commis dans le contexte d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination par un groupe racial de tout autre groupe ou groupes raciaux et commis dans l’intention de perpétuer ce régime”.
Selon cette définition, Israël est un État pratiquant l’apartheid et l’on pourrait bien plaider en faveur d’une classification encore plus sévère à la mesure de la nature du crime. Il suffit de regarder la carte de la Palestine qui se rétrécit comme une peau de chagrin pour comprendre ce que je veux dire.
Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons appris que plus de 4 000 nouvelles autorisations de projets de colonisation à Jérusalem-Est avaient été accordées. Combien de demandes de ce type faites par des Palestiniens ont été approuvées ? Aucun prix n’est offert pour deviner cette réponse. Absolument Zéro ! Israël est un État d’apartheid.
Je me suis rendu pour la première fois en Palestine occupée en novembre 2017. Ma première impression a été que ce que je voyais et observais était pire que tout ce que j’avais vécu personnellement sous l’apartheid en Afrique du Sud. Je n’ai pas été le seul à faire une telle observation. Avant ma visite, de grands dirigeants de la lutte contre l’apartheid comme Ahmed Kathrada, Desmond Tutu et l’ancien ministre de la Défense ainsi que le ministre du Renseignement Cde Ronnie Kasrils avaient exprimé le même sentiment. D’innombrables délégations de notre mouvement syndical, d’ONG et d’organismes religieux s’y étaient également rendues et en étaient venues à la même conclusion. Israël est un État d’apartheid.
L’un des participants qui se sont rendus en Cisjordanie dans le cadre du voyage Mondli Makhanya, alors rédacteur en chef du Sunday Times of South Africa, a déclaré à Gideon Levy, journaliste israélien chevronné,
“Quand vous observez le pays de loin, vous savez que les choses vont mal, mais vous ne savez pas à quel point. Rien ne peut vous préparer au mal que nous avons vu ici. Dans un certain sens, c’est pire, pire, pire que tout ce que nous avons enduré. Le niveau de l’apartheid, le racisme et la brutalité sont pires que la pire période de l’apartheid”.
Une autre participante au voyage, Nozizwe Madlala-Routledge, députée au Parlement sud-africain, qui avait été emprisonnée à l’époque de l’apartheid pour son opposition au régime sud-africain de l’apartheid, a déclaré, et je la cite :
“Il m’est difficile de décrire ce que je ressens. Ce que je vois ici est pire que ce que nous avons vécu…. Le contrôle absolu de la vie des gens, le manque de liberté de mouvement, la présence de l’armée partout, la séparation totale et les destructions à grande échelle que nous avons vues”.
En novembre 2011, le révérend Allan Boesak, vétéran de la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud, a réitéré l’affirmation selon laquelle l’apartheid israélien est bien pire que l’apartheid sud-africain.
Il a dit dans une interview accordée à Middle East Monitor, je cite :
“C’est pire, non pas que l’apartheid n’était pas un système absolument terrifiant en Afrique du Sud, mais parce que les Israéliens se sont saisi du système d’apartheid et l’ont, pour ainsi dire, perfectionné; l’ont affuté. ”
“Par exemple, nous avons eu les bantoustans et le Group Areas Act (loi sur les zones réservées) et nous avons eu les écoles séparées et tout cela, mais je ne pense pas qu’il soit jamais venu à l’esprit d’un planificateur de l’apartheid de concevoir une ville de telle manière qu’il existe un mur physique qui sépare les gens et que ce mur délimite votre liberté de mouvement, votre liberté de gagner votre vie, d’emploi, et soit en même temps un instrument d’intimidation et de déshumanisation. Nous devions avoir sur nous un laissez-passer comme les Palestiniens leurs papiers d’identité, mais cela ne voulait pas dire que nous ne pouvions pas aller d’un endroit à un autre de la ville. Le système judiciaire était absolument biaisé, bien sûr, tous les juges, en rendant leurs jugements, cherchaient à protéger les privilèges et le pouvoir des Blancs et ainsi de suite, et nous avions à l’époque une série de juges appelés “juges pendeurs”, mais ils ne sont pas allés jusqu’à mettre ouvertement et manifestement en place deux systèmes judiciaires distincts, comme c’est le cas pour les Palestiniens[qui sont jugés par des tribunaux militaires israéliens] et pour les Israéliens[qui sont jugés par des tribunaux civils, pas militaires]. Donc, à bien des égards, le système israélien est pire ”.
Les parallèles restent valides, mais ne se limitent pas à ce qui a été énoncé. Ils valent aussi pour l’incarcération des dirigeants politiques, la détention des mineurs, la torture et les mauvais traitements infligés aux prisonniers politiques. L’absence de libertés politiques fondamentales, les restrictions de la liberté de mouvement et l’ombre omniprésente du Mossad, agence des services secrets d’État qui, s’immisce dans tous les aspects de la vie privée et politique des militants, ressemblent beaucoup à l’apartheid sud-africain d’autrefois.
Comme pour l’Afrique du Sud de l’apartheid d’autrefois, qui n’eut de cesse de déstabiliser les États de la ligne de front, pratiquement tous les efforts de déstabilisation de la région du Moyen Orient portent la marque du régime d’apartheid israélien. Nous croyons aussi que comme l’Afrique du Sud de l’apartheid, Israël de l’apartheid a un rendez-vous avec le destin qui mettra définitivement fin à tous les parallèles!
Avant son arrestation en 1962, Nelson Mandela s’était rendu dans 16 États africains, dont l’Égypte, l’Érythrée et l’Algérie, pour recevoir une formation militaire, mais surtout pour mobiliser un soutien.
Au cours de ce voyage, il s’est rendu deux fois au Royaume-Uni pour rencontrer des cadres en exil et les mobiliser. Je veux exhorter les Palestiniens vivant en exil à suivre l’exemple de Madiba et à se faire les ambassadeurs de la lutte palestinienne où que vous vous trouviez.
L’un des plus grands piliers de notre lutte a été le fait que les cadres sud-africains en exil se sont largement mobilisés, parfois dans des circonstances difficiles.
Cde Dulcie September a été assassinée dans les rues de Paris, d’autres ont été mutilés et blessés par des lettres piégées. Toutefois, rien n’a pu empêcher le Mouvement mondial contre l’apartheid de se renforcer et de resserrer le nœud coulant autour du cou du régime de l’apartheid et de l’isoler au sein de la communauté internationale.
Nous devons saisir toutes les occasions de rendre visible la lutte palestinienne et d’intensifier notre campagne de protestation contre l’état d’apartheid israélien. A cet égard, le travail du mouvement BDS doit être applaudi pour nous avoir mis sur la bonne voie.
Mon grand-père avait posé trois conditions pour entamer le processus de négociation. Lever l’interdiction de tous les partis politiques, libérer tous les prisonniers et garantir le droit au retour de tous les exilés. Nous ne devons pas faciliter l’existence du régime d’apartheid israélien tant qu’il continuera à perpétuer l’apartheid sous sa pire forme.
Nous devons nous inspirer du parallèle de l’expérience sud-africaine où des dockers du Royaume-Uni ont refusé de décharger les produits de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Nous devons boycotter tous les produits en provenance de l’état d’apartheid d’Israël, qu’il s’agisse de produits frais ou d’armes. Nous devons mobiliser le monde entier en faveur d’un embargo complet sur les ventes d’armes à l’état d’apartheid d’Israël.
Ma réflexion sur les parallèles entre nos luttes serait incomplète sans un appel à l’unité. Nous avons une énorme dette de gratitude envers les femmes et les hommes ordinaires du monde entier, et en particulier envers les militants du Mouvement mondial contre l’apartheid, dont les efforts inlassables ont énormément contribué à l’isolement du régime de l’apartheid en Afrique du Sud.
Si c’était possible, mon grand-père et notre nation entière les auraient remerciés individuellement et collectivement. Alors, à vous tous ici présents et à ceux qui ne sont pas présents, quelle que soit votre contribution, nous vous en remercions infiniment et nous vous en serons éternellement redevables.
Cette UNITÉ était également manifeste à l’échelle de toutes les formations politiques d’Afrique du Sud au sens où les forces internes se sont mobilisées au sein du Mouvement démocratique de masse et ont permis l’émergence du Front démocratique uni qui a rassemblé toutes les religions et formations confessionnelles, travailleurs, entreprises, étudiants, universitaires et de tous les horizons imaginables de la société.
C’est une leçon importante dont nos frères et sœurs engagés dans la lutte pour la Palestine feraient bien de tenir compte. L’appel à l’unité dans la lutte sud-africaine est un parallèle à reproduire et une leçon à retenir. Nous devons intensifier nos efforts dans le processus d’unification tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Mesdames et messieurs, camarades et amis, faisons en sorte que le dernier parallèle entre nos deux justes luttes soit que, comme pour l’Afrique du Sud de l’apartheid, l’état d’apartheid d’Israël ait son rendez-vous avec le destin. Nous devons faire pression sur la région de la CDAA, le continent africain et nos alliés du mouvement des non-alignés et la communauté internationale dans son ensemble pour soutenir le boycott et l’isolement d’Israël de l’apartheid jusqu’à ce que la justice, la paix et les droits humains prévalent. Madiba nous a rappelé que ” la paix, la prospérité et la sécurité ne sont possibles que si tous en bénéficient sans discrimination “.
Finalement, le Président Mandela nous a rappelé que,
“Il incombe à tous les Sud-Africains, eux-mêmes autrefois bénéficiaires d’un généreux soutien international, de se lever et d’être de ceux qui contribuent activement à la cause de la liberté et de la justice”.
Il était important pour les Sud-Africains ” d’ajouter notre propre voix à l’appel universel pour l’autodétermination des Palestiniens et l’accession à un État” parce que ” nous savons trop bien que notre liberté est incomplète sans la liberté des Palestiniens ; sans la résolution des conflits au Timor oriental, au Soudan et dans d’autres parties du monde “.
Je vous remercie !!! –
1 mai 2019 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB