Depuis qu’il s’est élevé sur les ruines des villes et des villages palestiniens en 1948, Israël a eu une relation des plus cahoteuses avec le plus grand organisme international au monde.
Il a toujours cherché désespérément à être légitimé par l’ONU, tout en faisant son possible pour délégitimer l’ONU.
À la suite d’une résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU (UNHRC) condamnant, en mars 2014, les violations israéliennes des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a accusé l’ONU d’être “inepte”. Il a promis de “continuer à dévoiler et à dénoncer” “l’hypocrisie” de l’ONU.
Pendant toutes ces années, les dirigeants israéliens et les responsables gouvernementaux se sont évertués à miner l’ONU et ses divers organismes et, avec le soutien inconditionnel de Washington, ont ignoré les nombreuses résolutions de l’ONU sur l’occupation illégale de la Palestine.
Dans une certaine mesure, la stratégie israélienne de se servir de l’ONU tout en la vilipendant – a fonctionné. Grâce aux veto américains qui ont bloqué tous les efforts de l’ONU pour contraindre Israël à mettre fin à son occupation militaire et à ses violations des droits de l’homme, Israël pouvait se dispenser de se conformer au droit international.
Mais deux événements majeurs ont forcé un Israël à revoir sa stratégie.
Tout d’abord, en décembre 2016, au lieu de mettre leur veto à une résolution de l’ONU qui condamnait les activités des colonies illégales d’Israël dans les territoires palestiniens occupés, les États-Unis se sont abstenus.
En rompant avec leur longue habitude de protéger Israël contre toute censure internationale, Washington a révélé la fragilité de son allégeance apparemment inconditionnelle à Tel Aviv.
Deuxièmement, la montée en puissance du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) dirigé par les Palestiniens est en passe de changer la dynamique de la politique internationale concernant l’occupation israélienne.
Le mouvement, qui a commencé comme un appel de la société civile palestinienne pour qu’Israël soit obligé de rendre des comptes pour ses violations des droits humains palestiniens, est devenu rapidement un mouvement mondial. Des centaines de groupes locaux du BDS se sont créés dans le monde, avec la participation d’artistes, d’académiciens, de syndicalistes et d’élus.
En quelques années, le BDS est devenu un puissant moyen de pression pour dénoncer l’occupation israélienne et exiger que justice soit rendue au peuple palestinien.
Le Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU s’y est rapidement joint, en déclarant son intention de publier une liste des noms des entreprises qu’il faut boycotter parce qu’elles opèrent dans des colonies israéliennes illégales.
Les efforts de cette organisation de défense des droits humains ont été assortis de multiples condamnations des violations israéliennes des droits de l’homme documentées par l’agence culturelle de l’ONU, l’UNESCO.
Cela signifie que les organes de l’ONU où il n’y a pas de droit de veto sont de plus en plus capables de s’opposer au Conseil de sécurité de l’ONU.
Les actions du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU et de l’UNESCO ont provoqué, en réaction, une puissante campagne israélo-américaine visant à les discréditer.
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Depuis l’avènement de l’administration de Donald Trump, Washington mène avec l’aide de son ambassadrice à l’ONU, Nikki Haley, une guerre contre l’ONU en l’intimidant et en le menaçant de lui couper les vivres.
L’UNESCO a maintenu sa position malgré la réduction de son financement. Et le CDH a décidé de publier la liste des entreprises opérant dans les colonies en dépit des menaces américaines de sortir de l’organisation des droits de l’homme.
Selon la chaîne de TV d’Israël, Channel 2, la liste comprend Coca-Cola, TripAdvisor, Airbnb, Priceline et Caterpillar. Elle comprend également des entreprises nationales israéliennes et deux grandes banques.
Les officiels israéliens sont furieux. La vice-ministre des Affaires étrangères, Tzipi Hotovely, a affirmé que “l’ONU joue avec le feu”, et a ajouté qu’une telle initiative entraînerait une perte supplémentaire du budget de l’ONU.
Elle a même déclaré que les États-Unis et Israël travaillaient ensemble pour entamer une « révolution » au Conseil des droits de l’homme par le biais d’un « plan d’action » commun.
Les signes de cette étrange « révolution » sont déjà apparents. En plus d’étouffer financièrement les organes de l’ONU, Israël fait pression sur les pays du Sud qui manifestent traditionnellement leur solidarité avec les Palestiniens en raison de leur histoire commune d’oppression étrangère et de luttes anti-coloniales.
Netanyahou vient juste de conclure un voyage en Amérique latine, le premier d’un premier ministre israélien. Dans la dernière étape de son voyage au Mexique, il a offert de « développer l’Amérique centrale ».
Le prix à payer pour les pays d’Amérique latine est évidemment de soutenir l’occupation israélienne de la Palestine et fermer les yeux sur ses violations des droits de l’homme en Palestine.
L’ironie qui, heureusement, n’a pas échappé à tout le monde, c’est que, en janvier dernier, Netanyahu a déclaré soutenir le projet de Trump de construire un mur le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique et de forcer le Mexique à le payer.
On peut douter qu’Israël réussisse à mettre l’Amérique latine dan son camp, surtout si l’on songe à son habitude délétère de soutenir des régimes fascistes et de subvertir la démocratie.
L’offensive de charme du premier ministre israélien devait inclure une visite au Togo en octobre pour assister au Sommet israélo-africain. Grâce aux efforts de l’Afrique du Sud, du Maroc, entre autres pays, le sommet a finalement dû être annulé parce que plus de la moitié des pays africains envisageaient de le boycotter.
Ce revers diplomatique a dû beaucoup embarrasser Tel-Aviv car Netanyahou avait fait de la diplomatie africaine le pilier dans sa politique étrangère. En juin dernier, il est allé en Ouganda, au Kenya, en Éthiopie, en Tanzanie et au Rwanda. Il était accompagné d’une grande délégation de dirigeants d’entreprises. En juin dernier, il a promis aux dirigeants africains au sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Libéria de leur fournir une technologie agricole qui réduirait la sécheresse et la pénurie alimentaire.
Le prix à payer ? Selon l’Agence Africaine de Presse, “la technologie israélienne résoudrait les problèmes les plus urgents d’Afrique… aussi longtemps que les pays africains s’opposeront aux résolutions de l’ONU qui critiquent l’occupation israélienne de la Palestine”.
Tel-Aviv n’a pas réussi à manipuler tous les dirigeants africains.
Mais la tactique israélienne devient plus claire et plus audacieuse. Tel Aviv a pour but de miner le soutien aux Palestiniens à l’Assemblée générale des Nations Unies et de saboter le travail des organes de l’ONU qui ne sont pas soumis au pouvoir américain.
Il veut également s’assurer un siège au Conseil de sécurité de l’ONU. On pense que, avec le soutien de Haley aux Nations Unies, une telle chose n’est pas impossible.
En plus des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU qui ont le droit de veto, dix pays membres sont élus pour deux ans. L’offensive de charme d’Israël en Amérique latine, en Afrique et en Asie a pour objectif d’obtenir le nombre de voix nécessaires pour avoir un siège pour le mandat 2019-2020.
Le vote aura lieu l’année prochaine, et Israël se présentera contre l’Allemagne et la Belgique. Le désir d’Israël d’améliorer son statut à l’ONU peut également se lire comme l’aveu que l’attitude hostile de Tel-Aviv a échoué.
Toutefois, si Israël obtient ce siège, il s’en servira pour renforcer son occupation de la Palestine au lieu de respecter le droit international. Il est vraiment regrettable que les Arabes et l’Autorité palestinienne se rendent compte de tout ça aussi tardivement.
Israël complote dans ce but depuis des années – depuis 2005 sous la direction d’Ariel Sharon – pourtant, l’AP a attendu aujourd’hui pour demander à la Ligue arabe d’empêcher Israël d’obtenir ce poste influent.
Actuellement, les Palestiniens comptent sur le soutien dont le peuple palestinien a toujours bénéficié de la part de beaucoup de pays du monde, en particulier des pays du Sud.
La plupart de ces nations ont connu la colonisation et l’occupation militaire, et elles ont du mener leurs propres luttes de libération meurtrières et douloureuses. Elles ne devraient pas laisser siéger à l’ONU un régime colonialiste qui bafoue le droit international tout en prêchant au monde entier la démocratie et les droits de l’homme.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
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20 septembre 2017 – Ma’an News – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet