Normaliser l’anormal (4) : pour un boycott systématique

Boycott
Photo : Anadolu, via The New Arab
Azmi Bishara – Rejeter la normalisation avec Israël est un concept qui va au-delà du boycott comme indiqué dans les articles précédents de cette série.

De toute évidence, rejeter la normalisation dans le monde arabe implique de boycotter la normalisation des relations au niveau étatique. Cependant, il est nécessaire d’impulser le boycott également au niveau local afin de faire pression sur le niveau officiel.

La plupart des régimes arabes ont abandonné le boycott d’Israël, en particulier à l’égard des sociétés étrangères qui ont des investissements sur place. En effet, un boycott systématique du régime israélien exige de prêter attention à de nombreux détails qui peuvent ne pas être bien connus du grand public.

Une telle organisation qui aurait comme objectif de mener non seulement un boycott des produits israéliens mais aussi des entreprises qui en profitent et investissent dans le projet colonial en Palestine, fait encore défaut.

Le boycott est un outil stratégique

La stratégie de boycott est encore plus importante au niveau international, dans les pays qui ont des relations totalement banalisées avec Israël. Dans ce cas, le boycott est une forme de résistance pacifique qui se joue à l’échelle mondiale.

Il est la réponse à la question de savoir comment traduire la solidarité mondiale avec les Palestiniens en mesures concrètes.

En vérité, la méthode la plus efficace pour aller au-delà des manifestations occasionnelles est le boycott, mais elle nécessite une approche globale et intelligente pour gagner un soutien massif et influencer ceux qui prennent les décisions.

La stratégie de boycott comprend les actions volontaires individuelles – qu’aucun gouvernement dans le monde ne peut empêcher – et l’organisation de boycotts collectifs par des groupes civiques, universitaires et syndicaux à l’égard de leurs homologues israéliens.

La stratégie de boycott diffère d’un pays à l’autre, selon l’état de l’opinion publique et la nature des relations avec Israël. Sans aucun doute, cela signifie que le mouvement de boycott dans chaque pays doit être géré d’une manière qui s’adapte aux conditions locales, sur la base de principes communs universels. Le mouvement mondial BDS a réalisé beaucoup de choses à cet égard, mais il reste encore beaucoup à faire.

Un boycott systématique avait été mis en œuvre contre le régime d’apartheid sud-africain, s’intensifiant et atteignant un sommet peu avant la chute de ce régime. Son influence est devenue cruciale lorsque les gouvernements ont rejoint officiellement le mouvement, s’étendant du continent africain aux occidentaux. Le régime de l’Afrique du Sud n’a pu résister, ni économiquement ni militairement.

Une véritable bataille a été menée contre la politique du Premier ministre britannique Margaret Thatcher, par un mouvement anti-apartheid très actif en Grande-Bretagne ainsi qu’en Europe occidentale et en Amérique du Nord.

Pourtant, rien de tout cela n’aurait été possible sans un boycott pan-africain avant tout et une campagne mondiale multilatérale non centralisée semblable aux mouvements anti-coloniaux. La direction du Congrès national africain (ANC) a également considéré le boycott comme un élément clé de sa stratégie aux côtés de la lutte armée et politique.

Qu’en est-il de la Palestine ?

Dans le cas de la Palestine, ce n’est pas à quoi nous assistons… En effet, la direction de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) entretient d’étroites relations politiques et sécuritaires avec Israël par l’intermédiaire de l’Autorité palestinienne , et oppose publiquement et officiellement la stratégie de boycott. Bien au contraire, l’Autorité palestinienne appelle les Arabes à visiter Jérusalem et bénit les initiatives arabes pour la normalisation.

Pendant ce temps, les pays arabes voisins de la Palestine ont soit conclu des traités de paix avec Israël, sans une solution juste de la question de Palestine, soit déclaré que la paix avec Israël était leur choix stratégique.

Chaque pays européen honteux de son silence sur l’occupation et les crimes d’Israël, essaie de compenser son attitude en proposant des initiatives de dialogue réunissant Israéliens et Palestiniens, plutôt que de pousser pour un boycott. Toutefois, le Parlement européen a réussi à imposer un boycott, quoique très timide, de produits fabriqués dans les colonies israéliennes illégales.

En revanche, il y a des tentatives de l’Occident pour criminaliser le boycott d’Israël, notamment aux États-Unis où une campagne à cet effet est active.

En Russie, en Chine et généralement en Extrême-Orient, comme dans d’autres régions du monde, même les produits des colonies de peuplement ne sont pas soumis à un boycott. Au contraire, nous voyons une évolution rapide des relations entre Israël et les pays qui étaient autrefois considérés comme des amis du peuple palestinien, avec l’exemple de la Russie et de l’Inde maintenant alliés d’Israël, ainsi que la Chine et les États africains.

Il n’existe pas un boycott international d’Israël en tant que tel. Israël continue de développer ses liens économiques, académiques et culturelles dans le monde entier. Ses relations diplomatiques ont connu un boom, tout comme son économie, depuis qu’il a signé des traités de paix avec les pays arabes et les accords d’Oslo avec les Palestiniens.

Pourquoi le boycott est-il important ?

En vérité, il est crucial… et exactement en raison des circonstances décrites ci-dessus. Le boycott, comme moyen de lutte pour gagner le soutien du public international, a obtenu des résultats au niveau des universités, des organisations civiles et des syndicats.

Cependant, le Mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien manque des ingrédients nécessaires pour l’emporter, en présence d’une direction palestinienne qui ne veut pas de la solidarité et qui veut s’imposer à Israël “par la logique” et gagner le soutien des États-Unis parce qu’elle est totalement liée au soi-disant processus politique.

Le Mouvement de solidarité veut faire quelque chose d’utile pour les Palestiniens et veut contrer les politiques de l’occupation. Le boycott est une stratégie appropriée qui peut progressivement ébrécher l’occupation, la marginaliser et la mettre sur la défensive, même au niveau de l’opinion publique. Le mouvement de boycott, s’il se développe à l’étranger, peut aussi exercer une influence plus forte qui peut à son tour avoir un impact positif sur la scène palestinienne.

Le boycott passe aussi par l’arrêt de la collaboration répressive entre l’Autorité palestinienne et l’occupant

Les Palestiniens n’ont rien à apprendre au mouvement mondial de boycott concernant les conditions respectives des États dans lesquels ce boycott s’exerce. Cependant, les Palestiniens peuvent donner un bon exemple dans la lutte contre la normalisation en Palestine, par exemple contre la collaboration répressive avec Israël et d’autres canaux de coopération entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien.

En effet, il ne serait pas logique que les Palestiniens ne fassent pas pression contre la collaboration avec la partie principalement responsable de leur oppression, à savoir les agences répressives de l’occupation. Cela devrait être la première mission pour le mouvement palestinien de boycott dans les territoires palestiniens, suivie par le boycott des produits israéliens – tout en gardant à l’esprit que de nombreux produits palestiniens contiennent des ingrédients de fabrication israélienne. Cependant, la question reste culturellement et économiquement significative.

Un mouvement de boycott populaire reste un élément crucial pour exercer une pression politique, économique et morale sur Israël. Israël non seulement refuse d’être comparé à l’apartheid sud-africain, mais bénéficie aussi d’un statut spécial qui lui attribue des privilèges internationaux spéciaux, et toute comparaison ou réplique du boycott sud-africain est une perspective très inquiétante pour Israël.

Cela conduit Israël et ses alliés en Occident à réagir de manière très tendue, parfois dans la panique, contre la campagne de boycott, et ceci impose d’être préparé pour cette période de la lutte. L’une des étapes les plus importantes à cet égard est de formuler les droits des Palestiniens dans un contexte démocratique contre une occupation de coloniale et raciste, et de mettre en avant la stratégie de boycott comme un droit civil démocratique.

Lire la première partie de cette série : (1) : problèmes de terminologie, la seconde partie : (2) : Questions problématiques et la troisième partie : (3) : le boycott à l’intérieur de la Palestine

a1 * Azmi Bishara est un intellectuel palestinien, universitaire et écrivain. Consultez son site personnel et suivez-le sur Twitter: @AzmiBishara

26 août 2016 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet