Par Jonathan Cook
De retour au bercail, les choses se compliquent. Il y a de la colère en Cisjordanie, tant dans les rues que dans les rangs du mouvement du Fatah de M. Abbas, et le déclencheur a été la grève de la faim lancée le 17 avril par les prisonniers palestiniens.
Jeudi dernier, les Palestiniens ont cessé leurs activités dans une manifestation de solidarité, et le lendemain, les jeunes se sont affrontés avec l’armée israélienne dans un “jour de colère“.
Environ un quart des 6500 prisonniers politiques détenus par Israël – presque tous sur le territoire israélien, en violation du droit international – refusent de s’alimenter en signe de protestation contre leur traitement dégradant. Ils veulent des réformes sur le système israélien à grande échelle d’incarcération. Quelque 800 000 Palestiniens – 40% des hommes – sont passés par les cellules d’Israël depuis 1967.
Israël espère briser la force morale des prisonniers. Il a enfermé les dirigeants en isolement cellulaire, a refusé aux détenus en grève d’avoir accès à un avocat, a confisqué des radios, et la semaine dernière a commencé à confisquer les rations de sel – la seule substance, avec l’eau, que prennent les prisonniers.
La grève est menée par Marwan Barghouti, le plus important dirigeant palestinien emprisonné – et le plus populaire, selon les sondages.
M. Abbas soutient publiquement les grévistes, mais en privé, on dit qu’il veut voir la fin de la protestation le plus rapidement possible. Les rapports diffusés au cours du week-end ont révélé qu’il avait exhorté le président égyptien, Abdel Fattah El Sisi, à intercéder auprès de l’Amérique et Israël pour y contribuer.
En partie, M. Abbas craint l’influence de M. Barghouti, un homme souvent présenté comme le Nelson Mandela Palestinien et considéré comme le successeur probable de M. Abbas. Il faut noter que le président palestinien a, à plusieurs reprises, écarté Marwan Barghouti écarté au sein du Fatah.
Mais M. Abbas est également préoccupé par le fait que la grève de la faim provoquera des affrontements violents en Cisjordanie avec les forces de sécurité israéliennes, compliquant ses efforts pour persuader M. Trump de soutenir sa campagne diplomatique pour l’État palestinien.
Il veut donc prouver qu’il peut éliminer les signes de ce que M. Trump pourrait considérer comme du “terrorisme”. Cela nécessite une étroite coopération en matière de sécurité avec Israël.
La visite à Washington et la grève de la faim ont relevé la plus grande des lignes de fracture dans le mouvement national palestinien.
La stratégie de M. Abbas est strictement du “haut vers le bas”. Son point de départ est que les États occidentaux – ceux qui ont constamment trahi le peuple palestinien depuis de nombreuses décennies – peuvent désormais être dignes de confiance et les aider à mettre en place un État.
A partir de cette supposition douteuse, M. Abbas a cherché à supprimer tout ce qui présente mal dans les capitales occidentales. Et sous l’instigation de M. Trump, la pression n’a fait que s’intensifier.
En revanche, la “bataille des estomacs vides” est la preuve d’une stratégie croissante du “bas vers le haut”, d’une résistance massive non violente. À cette occasion, les revendications sont limitées à la réforme pénitentiaire, mais l’impact de la grève pourrait être plus fort.
En particulier, le modèle de protestation, s’il réussissait, pourrait suggérer sa pertinence pour un public palestinien désabusé par l’approche de M. Abbas. Ils vivent aussi dans des cellules sous le contrôle d’Israël, même si elles sont plus vastes, à l’air libre.
La logique nettement différente de ces deux stratégies est plus difficile que jamais à ignorer.
Ayant l’espoir de gagner les bonnes grâces de l’administration Trump, M. Abbas doit persuader celui-ci qu’il est la voix unique des Palestiniens.
Cela signifie qu’il doit garder un oeil sur la grève de la faim, en l’encourageant à se terminer avant que les prisonniers ne commencent à mourir et que la colère palestinienne n’éclate dans les territoires occupés. Il semble que son approche crée de graves tensions au sein du Fatah.
Désireux d’ajouter à ces difficultés, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a réclamé la semaine dernière que M. Abbas bloque toute aide financière aux familles des prisonniers, ce qu’il a appelé une “compensation pour le terrorisme”.
M. Abbas se sent également obligé de s’affirmer face à ses rivaux du Hamas à Gaza. C’est pourquoi la semaine dernière, il a cessé de financer le carburant nécessaire à l’unique centrale électrique qui s’y trouve, après avoir réduit récemment les services médicaux et les salaires des fonctionnaires de Gaza.
Son espoir est que, en serrant les vis, le Hamas sera renversé ou forcé de se soumettre à son autorité.
Mais plus probablement, la fissure avec le Hamas s’approfondira, entraînant le mouvement islamiste dans une autre confrontation sanglante pour se libérer du blocus israélien vieux d’une décennie. Ces divisions – comme la plupart des Palestiniens comprennent de plus en plus – contribuent à affaiblir plutôt que renforcer leur cause. La résistance massive non violente telle que l’impulse la grève de la faim, en revanche, a le potentiel de réunir le Fatah et le Hamas dans la lutte, et de réanimer une population palestinienne lassée.
Des rapports ont suggéré que M. Barghouti a conclu un accord avec les dirigeants du Hamas emprisonnés pour s’engager dans une lutte commune dans les territoires occupés, une fois que M. Abbas sera parti.
Une lutte populaire contre la non-violence – bloquant les routes de colonisation, marchant vers Jérusalem, abattant les murs – serait difficile à caractériser comme du terrorisme, même pour M. Trump. C’est le scénario du cauchemar de l’armée israélienne, car c’est la seule confrontation pour laquelle il n’y a pas de réponse appropriée.
Une telle campagne de désobéissance civile, cependant, n’a aucune chance de réussite tant que M. Abbas sera là pour la saper – et poursuivre des chimères à Washington.
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
1e mai 2017 – jonathan-cook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah