Islam et psychologie de la libération : un pilier de la lutte psychologique en Palestine occupée

Damian Morales, artiste graffeur argentin, a réalisé une œuvre dramatique représentant une attaque aérienne israélienne sur Gaza, avec des enfants fuyant pour sauver leur vie devant un hélicoptère de combat, tandis que des parents serrent dans leurs bras leurs proches morts ou mourants - Photo : via réseaux sociaux

Par Samah Jabr

La psychologie de la libération est une approche révolutionnaire dans le domaine de la psychologie qui va au-delà de la thérapie traditionnelle pour s’attaquer aux racines sociales et politiques de l’oppression et de l’injustice.

C’est une réponse directe à la souffrance des peuples colonisés et opprimés, qui vise à libérer l’esprit et l’âme des effets destructeurs de la colonisation et de l’occupation.

En Palestine, où les gens vivent sous le fardeau de l’occupation, la psychologie de la libération devient une nécessité urgente pour faire face à l’injustice et à ses effets psychologiques et sociaux. Cette approche ne se limite pas aux dimensions psychologiques individuelles, mais est profondément liée à la lutte pour la liberté et la justice dans les sociétés où les gens vivent.

En Palestine, les principes islamiques apparaissent comme un pilier fondamental qui renforce cette forme de libération.

L’Islam, avec ses enseignements qui appellent à la justice, à l’égalité et au rejet de l’oppression, s’aligne sur les objectifs de la psychologie de la libération en construisant des sociétés résistantes qui luttent pour la dignité et la libération de toutes les formes de tyrannie.

L’Islam porte en lui un message de libération global qui s’étend à de multiples aspects de la vie humaine, de la libération de l’âme et de la psyché à la libération de la société de l’injustice et de la tyrannie. La libération est fondamentale dans l’Islam et contribue à construire les individus et les communautés sur les valeurs de justice, de dignité et de persévérance face à l’oppression.

En tant que psychiatre, je ne peux comprendre l’endurance, la résilience et la fermeté de la communauté palestinienne face à tous les défis que nous rencontrons, sans reconnaître le rôle central que joue l’Islam dans la culture de la société.

La glorification des martyrs et l’espoir de retrouver des êtres chers dans l’au-delà aident les gens à supporter le deuil et le chagrin lorsque les outils de la psychiatrie et toutes les formes de thérapies ne parviennent pas à soulager les profondes blessures psychologiques.

La libération dans l’Islam constitue une base importante pour l’émergence de la psychologie de la libération qui se concentre sur les causes et les effets de l’injustice sur la santé mentale. L’Islam est une religion qui élève la valeur de la dignité humaine et défend la liberté humaine à tous les niveaux.

Allah (سُبْحَانَهُ وَتَعَالَى) dit dans le Coran : « Nous avons certes honoré les enfants d’Adam » (Al-Isra, Sourate 17 verset 70). Ce verset montre que la dignité humaine est au cœur du message de l’Islam et qu’elle ne doit être violée en aucune circonstance. L’Islam est venu libérer l’humanité de toutes les formes d’esclavage, non seulement physique, mais aussi intellectuel et psychologique.

La libération de soi des contraintes et pressions psychologiques fait partie intégrante du message islamique. Le Coran encourage les croyants à se libérer de la peur et de la dépendance à l’égard des oppresseurs, en les incitant à s’en remettre à Allah (سُبْحَانَهُ وَتَعَالَى) et à avoir confiance en eux-mêmes. Allah (سُبْحَانَهُ وَتَعَالَى) dit : « Ne les craignez donc pas, mais craignez-moi, si vous êtes croyants » (Al-Imran, Sourate 3 verset 175).

Ce verset invite les musulmans à se débarrasser de la peur psychologique que les forces d’oppression peuvent leur inspirer, affirmant que la véritable peur doit être celle d’Allah (سُبْحَانَهُ وَتَعَالَى) seul, ouvrant ainsi la porte à la libération de l’âme de l’assujettissement.

Les musulmans considèrent également la résistance à l’injustice comme un devoir religieux et moral. Dans la sourate An-Nisa, Allah (سُبْحَانَهُ وَتَعَالَى) ordonne aux croyants de défendre la justice et de témoigner de la vérité, même dans les circonstances les plus difficiles : « Ô vous qui avez cru, restez fermement attachés à la justice, témoins d’Allah (سُبْحَانَهُ وَتَعَالَى), même si c’est contre vous-mêmes » (An-Nisa, Sourate 4 verset 135).

Ce verset confère aux musulmans une grande responsabilité dans la réalisation de la justice et la lutte contre l’oppression.

L’islam, une révolution contre les structures sociales de l’Arabie préislamique

À l’époque de la mission du prophète Muhammad (عَلَيْهِ ٱلسَّلَامُ), la péninsule arabique vivait sous des structures sociales rigides et dures, caractérisées par la discrimination de classe, l’exploitation économique, l’oppression raciale et la violence tribale. Ces structures renforçaient l’autorité de l’élite et reposaient sur l’asservissement et l’exploitation des faibles.

L’Islam est venu se révolter contre ces structures sociales et établir une nouvelle société fondée sur la justice et l’égalité.

L’aspect le plus marquant de la révolution islamique a été le démantèlement des distinctions de classe et de tribu, comme l’a déclaré le Prophète Muhammad (عَلَيْهِ ٱلسَّلَامُ) dans son sermon d’adieu : « Ô peuple, ton Seigneur est un, et ton père est un. Il n’y a pas de supériorité d’un Arabe sur un non-Arabe, ni d’un non-Arabe sur un Arabe, ni d’un Blanc sur un Noir, ni d’un Noir sur un Blanc, si ce n’est par la piété » (rapporté par Ahmad).

Cette proclamation révolutionnaire a démantelé les structures de discriminations sociales de l’époque préislamique et a jeté les bases d’une société fondée sur l’égalité entre tous les peuples.

L’Islam s’est également révolté contre l’esclavage, faisant de la piété et des bonnes actions la véritable mesure de la valeur d’une personne, indépendamment de sa lignée ou de sa classe sociale. Le Coran fait de l’affranchissement d’un esclave (Al-Balad, Sourate 90 verset 13) l’une des actions qui rapprochent la personne d’Allah (سُبْحَانَهُ وَتَعَالَى). Cette révolution sociale n’était pas seulement une libération matérielle, mais aussi une libération psychologique et intellectuelle, libérant les esprits et les cœurs des chaînes de la discrimination et de l’oppression.

Les leaders islamiques contemporains de la libération

Les valeurs de libération de l’Islam ont été incarnées dans la vie de nombreux dirigeants qui ont utilisé l’Islam comme un outil de libération de l’injustice et de l’oppression.

Nous mentionnons ici quelques leaders de notre histoire moderne, qui ont présenté des modèles différents mais complémentaires de la manière d’avoir recours à l’Islam dans la lutte pour la liberté et la justice.

Malcolm X était l’un des principaux dirigeants et militants du mouvement des droits civiques aux États-Unis. Il est né en 1925 et a été tué en 1965 à New York. Malcolm X a grandi dans un environnement difficile, où sa famille a été confrontée à des persécutions raciales après que son père a été tué lors d’un incident considéré comme ayant des motifs racistes, et où sa mère a souffert de crises psychologiques.

Sa vie s’est détériorée, il a sombré dans la criminalité et a passé du temps en prison. Pendant son incarcération, il a embrassé l’Islam, a commencé à remodeler sa vie et sa pensée et est devenu un symbole important de la lutte pour les droits des Noirs. Il était connu pour ses prises de position audacieuses et franches contre le racisme et l’oppression.

Il a appelé à la fierté de l’identité noire et à l’indépendance économique et politique des Noirs aux États-Unis. Il a ensuite adopté une perspective globale et a commencé à plaider en faveur de la coopération entre les races et des droits de l’homme à plus grande échelle, jusqu’à ce qu’il soit assassiné le 21 février 1965, alors qu’il prononçait un discours à New York.

Il a notamment visité le camp de Khan Yunis en 1964, écrit un article antisioniste et rencontré Ahmad Shukeiri, le premier président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Malgré sa mort prématurée, l’héritage de Malcolm X reste vivant et il est toujours considéré comme l’un des symboles de la lutte pour la justice et la dignité humaine.

Avant lui, il y eut Abdul Rahman Al-Kawakibi, penseur et réformateur syrien qui fut l’un des pionniers de la Renaissance arabe. Né au milieu du XIXe siècle à Alep, en Syrie, il est issu d’une famille prestigieuse et connue.

Il a étudié les sciences religieuses, les langues et les sciences modernes, ce qui lui a permis de devenir une figure influente de la pensée arabe et islamique.

Al-Kawakibi était connu pour ses prises de position courageuses contre la tyrannie et l’injustice, en particulier contre le despotisme ottoman qui dominait le monde arabe à l’époque.

Il appelait à des réformes politiques, sociales et religieuses et estimait que le despotisme était la cause du déclin de la nation islamique. Il s’est donc attaché à critiquer l’autorité absolue et a appelé à l’établissement d’une société libre et juste fondée sur les principes de la consultation (shura) et de la démocratie.

Son ouvrage le plus célèbre est « La nature de la tyrannie et la lutte contre l’asservissement », considéré comme l’un des textes les plus importants de la pensée politique arabe. Il y analyse la nature de la tyrannie, ses effets négatifs sur la société et propose des idées sur la manière de l’affronter et de l’éliminer.

Ali Shariati était un penseur et réformateur iranien, considéré comme l’une des figures influentes de la pensée islamique moderne. Né en 1933, son père était un militant religieux et un intellectuel, ce qui a eu un impact significatif sur Shariati pendant ses premières années.

Il a étudié la sociologie à l’université de Mashhad en Iran et a terminé ses études supérieures à la Sorbonne à Paris, où il a été influencé par des philosophes et des penseurs occidentaux.

Cette expérience l’a aidé à développer sa propre vision intellectuelle. Shariati était connu pour sa pensée réformiste, appelant à une réinterprétation de l’Islam en accord avec les questions sociales et politiques contemporaines.

Il s’est attaché à faire revivre l’Islam en tant que force de libération contre l’injustice et la tyrannie. Il considérait l’Islam comme une religion qui promeut la justice sociale et l’égalité.

Shariati est l’auteur de nombreux livres et conférences qui ont influencé la jeune génération d’Iraniens, jouant un rôle important dans la formation de la conscience révolutionnaire qui a contribué à la révolution iranienne de 1979.

Parmi ses ouvrages les plus célèbres figurent « Return to Self » (Le retour à soi), « The Creation of a Revolutionary Self » (La création d’un moi révolutionnaire) et « Religion Against Religion » (La religion contre la religion).

Aujourd’hui encore, Shariati est considéré comme un symbole du renouveau intellectuel islamique et un partisan de la libération des peuples musulmans de la tyrannie et de l’injustice.

Dans son livre « Histoire de la civilisation », Shariati écrit : « Lorsque la Palestine sera effacée de l’existence, que Jérusalem sera occupée et que nous n’entendrons que quelques voix de nos érudits, tous les récits et slogans religieux deviendront un ensemble de mots qui ne signifient rien ».

Originaire d’Afrique du Sud, Farid Esack est un érudit islamique et un militant des droits de l’homme. Il est considéré comme l’un des plus éminents penseurs islamiques contemporains travaillant à l’intersection de la religion, de la justice sociale et des droits de l’homme.

Né en 1956, il a vécu sa jeunesse pendant l’apartheid en Afrique du Sud, ce qui a considérablement influencé sa pensée et son activisme politique. Esack a fondé le « Mouvement musulman pour la justice » en Afrique du Sud, qui s’est efforcé de combattre l’apartheid d’un point de vue islamique, en mettant l’accent sur la résistance à l’injustice et à l’oppression.

Il a également soutenu les droits des femmes et a participé à des discussions sur la réforme religieuse et intellectuelle dans le monde musulman, ce qui a fait de lui une voix importante dans ce domaine.

Outre son activisme politique et social, M. Esack a occupé des postes académiques dans plusieurs universités à travers le monde, dont l’université de Harvard, et est connu pour ses recherches qui associent les études islamiques aux questions des droits de l’homme, de l’égalité des sexes et de la démocratie.

Dans ses travaux et ses discours, M. Esack a appelé à l’application des valeurs de justice et de dignité humaine dans la société musulmane, soulignant l’importance d’une interaction positive entre l’Islam et les principes mondiaux des droits de l’homme. Il reste actif dans la défense des droits des Palestiniens.

De nombreux dirigeants islamiques ont montré comment l’Islam peut être une force motrice pour la libération de l’oppression et de la tyrannie. L’Islam n’est pas seulement une religion ; c’est un message de libération qui appelle à la justice, à l’égalité et à la solidarité avec les opprimés.

L’histoire de l’Islam est remplie d’exemples honorables de dirigeants qui ont tenu tête aux tyrans avec la force de leur foi et le courage de leurs convictions. Ces valeurs sont encore vivantes aujourd’hui dans les luttes des peuples opprimés.

Alors que certains sont enchaînés par la peur et la soumission, l’Islam continue d’inspirer les âmes vers la libération et la résistance, afin que la vérité reste inébranlable et que la justice demeure l’objectif le plus élevé, digne de tous les sacrifices de la vie.

27 septembre 2024 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau

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