Par Samah Jabr
Dans un monde rempli d’injustices, nous nous retrouvons souvent à contempler ce qui se passe, sans réagir, ou, dans certains cas, à justifier des injustices pourtant flagrantes, défendant ainsi des oppresseurs.
De la Palestine exsangue aux victimes de l’oppression dans d’autres parties du monde, la question reste pressante : le silence sur l’injustice est-il une complicité délibérée ou le résultat d’un lavage de cerveau systématique qui rend l’injustice acceptable, voire la justifie ?
Le lavage de cerveau sert à remodeler la conscience
Le « lavage de cerveau » n’est pas une idée traitée à la légère en psychologie, mais un processus systématique qui vise à remodeler la conscience des individus afin que leurs croyances soient conformes aux intérêts de certaines puissances.
Ce concept est apparu pour la première fois dans les années 1950 sous la plume du psychologue Edward Hunter, lorsqu’il a observé les méthodes utilisées par les régimes oppressifs pour imposer leur domination sur les esprits. Le processus n’est pas superficiel, il se déroule en plusieurs étapes qui commencent par l’isolement intellectuel, où l’on refuse aux individus l’accès à une information libre et indépendante, renforçant ainsi un seul et unique point de vue.
Viennent ensuite la répression intellectuelle et l’interdiction de la pensée critique, où l’on diffuse un discours répétitif qui présente la soumission comme une vertu. En répétant les messages de propagande et en répétant les mensonges jusqu’à ce qu’ils deviennent des « faits » indiscutables, la victime devenue silencieuse devient indirectement complice de sa propre répression.
Le silence face à l’injustice n’est pas seulement l’absence d’expression ; il représente un état psychologique complexe dans lequel s’entremêlent des sentiments de peur, de déni et d’adaptation à une réalité douloureuse.
La « distorsion cognitive » est l’un des phénomènes psychologiques les plus marquants qui se produit lorsque les individus justifient les actions des oppresseurs. L’oppresseur se transforme alors en protecteur de la sécurité, tandis que la victime est rendue responsable de ses souffrances.
Lorsque l’injustice persiste pendant de longues périodes, les personnes impactées commencent à s’engager dans des mécanismes de défense tels que le déni ou la normalisation de la réalité douloureuse. La personne commence à accepter le statu quo comme inévitable.
La peur collective joue également un rôle crucial, car la crainte d’exprimer son désaccord augmente et le cercle vicieux du silence et de la soumission ne cesse de se reproduire.
L’aliénation psychologique est représentée par le sentiment d’impuissance face à une autorité oppressive, qui conduit à la perte de la capacité de résistance, et la soumission devient la seule option.
Si nous regardons l’histoire, nous trouvons de nombreux exemples de la façon dont les puissances coloniales et oppressives ont utilisé le lavage de cerveau pour assurer la poursuite de leur oppression.
Dans le Nouveau Monde, des méthodes psychologiques et religieuses ont été utilisées pour justifier l’esclavage, en faisant croire aux esclaves qu’ils étaient moins humains et que leur soumission était voulue par Dieu.
Grâce à l’endoctrinement religieux et à l’abandon forcé de leurs cultures et de leurs noms, une conscience déformée de l’esclavage face au maître blanc chrétien, de sa signification et de sa relation à la religion s’est construite.
En Algérie, pendant la colonisation française, la France a cherché à inculquer un sentiment d’infériorité aux Algériens en modifiant radicalement les programmes d’enseignement, présentant alors la France comme une nation civilisée, tandis que les Algériens étaient considérés comme arriérés et primitifs.
En outre, la France a imposé des lois telles que celle de « l’Indigène » qui ont fait des Algériens des sujets de second rang.
En Palestine, la machine médiatique mondiale a été utilisée pour laver le cerveau des Palestiniens en les présentant comme des terroristes et en justifiant l’occupation israélienne sous la bannière de la Terre promise et du peuple élu.
Cette propagande s’infiltre dans la conscience collective du monde, amenant de nombreuses personnes à sympathiser avec les oppresseurs et à ignorer les souffrances des victimes.
L’un des exemples les plus flagrants du silence mondial sur l’injustice est ce qui se passe actuellement à Gaza. Bien que les informations sur ce qui se passe soient disponibles, télévisées et documentées par tous les gouvernements occidentaux, la plupart de ces gouvernements – et de nombreuses institutions internationales – ont choisi de rester silencieux ou d’ignorer ces atrocités.
Malgré des informations précises sur les massacres et les tortures infligés à la population de Gaza, la réaction du monde a été lente et limitée. Les puissances mondiales n’ont pas agi rapidement et efficacement pour y mettre fin, ce qui montre un aspect douloureux de la complicité internationale et de l’ignorance délibérée.
Le monde entre silence et complicité
Le silence sur les injustices dans le monde est souvent le résultat d’un lavage de cerveau intense et méthodique. L’injustice est parfois justifiée par de faux slogans tels que « paix » et « développement ». Les médias instrumentalisés, les programmes d’enseignement biaisés et les discours politiques mensongers contribuent grandement à cette perception déformée de la réalité.
Mais la complicité n’est pas seulement un silence ; c’est une attitude consciente qui reflète la peur de perdre des privilèges ou d’impacter des intérêts personnels.
Les savants en religion des sultans d’aujourd’hui, jouent un rôle majeur dans le renforcement des régimes oppressifs en donnant une couverture religieuse ou morale à des actions injustes. Ils s’efforcent d’inculquer l’idée que la soumission à l’oppression est inévitable et que s’y opposer revient à désobéir à Dieu.
Ils contribuent à perpétuer la souffrance des peuples en exploitant la religion pour servir les intérêts de régimes tyranniques.
Pour lutter contre ce phénomène, il faut d’abord comprendre pourquoi les gens se taisent. S’agit-il d’une ignorance totale de la vérité ou de l’influence de la désinformation des médias ? Est-ce la peur de la sanction ou de la répression ? Ou est-ce simplement l’acceptation intériorisée de l’impossibilité d’un changement ?
C’est pourquoi nous devons travailler sur l’éducation et la culture pour promouvoir la pensée critique et dévoiler la vérité. Nous devons déconstruire les mensonges qui sont répandus à travers le monde.
Il est également nécessaire d’exposer la complicité qui protège les intérêts des puissances oppressives, tout en faisant la lumière sur les intérêts dissimulés derrière les positions internationales qui restent muettes face à l’injustice.
Enfin, nous devons reconsidérer le rôle de la religion, en restaurant son essence qui appelle au soutien des opprimés, au lieu de permettre qu’elle serve d’outil pour justifier l’injustice.
Le silence face à l’injustice n’est pas seulement l’absence d’expression libre, c’est un état psychologique complexe, où la peur se confond avec le déni, et la soumission avec la perte d’espoir.
Ce silence déforme la conscience humaine et pousse la personne à faire partie de la machine de l’injustice, au lieu d’être un agent actif du changement.
Garder le silence face à l’injustice, c’est s’aliéner soi-même ! C’est un véritable test de conscience : soit nous brisons le cercle vicieux de la peur et de l’inertie, soit nous sombrons dans la négativité et devenons partie intégrante de la force oppressive qui perpétue l’injustice.
Le silence peut apporter un soulagement temporaire, mais il devient un fardeau qui pèse sur l’âme. La résistance, en revanche, est le combat de l’âme contre sa peur, mais c’est aussi le premier pas vers la véritable libération.
Auteur : Samah Jabr
* Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l'Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est Professeur adjoint de clinique, à George Washington. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts - Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
7 janvier 2025 – Al-Quds – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah
Soyez le premier à commenter