Par Samah Jabr
Lorsque le bruit des bombardements s’arrête et que les armes se taisent à Gaza, certains pensent que la souffrance est terminée. Mais la douloureuse vérité est que la fin de l’agression ne signifie pas la fin de la douleur.
Au contraire, les survivants entament une nouvelle phase de confrontation, en affrontant les blessures psychologiques qui se sont accumulées pendant les jours de l’agression, mais qui n’ont pas eu l’occasion d’apparaître au milieu des préoccupations de survie.
Souffrance psychologique sous les bombardements
Pendant la guerre, l’objectif est la résilience.
Les enfants courent vers les abris avec des questions sans réponse dans les yeux, les femmes protègent leurs enfants par des mots et des prières et s’efforcent de cacher leur peur.
Les hommes, quant à eux, s’efforcent de subvenir à leurs besoins et d’assurer leur sécurité dans des circonstances qui dépassent leurs moyens.
Dans ces moments difficiles, les médecins et les psychologues tentent d’apporter leur soutien au milieu des bombardements, mais les défis sont énormes.
Il n’y a pas assez d’espaces sûrs, les ressources sont limitées et, parfois, atteindre les victimes peut mettre en danger la vie des thérapeutes eux-mêmes.
Le soutien apporté est temporaire, plus comme un pansement rapide pour arrêter l’hémorragie de la douleur que pour la traiter.
Quand la vraie douleur commence après la guerre
Lorsque l’agression prend fin, les survivants se retrouvent confrontés à une nouvelle réalité.
Les enfants qui ont vécu dans la peur sont plus enclins aux cauchemars et à l’insomnie, les femmes qui ont porté le fardeau de la guerre commencent à souffrir d’une dépression psychologique tardive.
Les hommes ressentent le poids de la perte ou de l’impuissance à reconstruire ce qui a été détruit.
Des symptômes psychologiques apparaissent progressivement : troubles du sommeil, perte d’appétit, isolement social, anxiété excessive.
La société entière vit dans un état de traumatisme collectif, où les effets de la guerre psychologique font partie du quotidien.
Impact sur le tissu social
Nous savons que les guerres n’affectent pas seulement les individus, mais frappent également le tissu social.
Des agressions répétées peuvent éroder les liens sociaux qui constituaient autrefois le premier rempart d’une société contre les crises.
La perte d’êtres chers et les déplacements forcés affaiblissent les relations familiales et créent des disparités psychologiques entre les survivants.
Les sentiments d’impuissance et de désespoir peuvent pousser certains à s’isoler ou à adopter des comportements négatifs qui nuisent à la cohésion sociale, tels que la violence domestique ou la toxicomanie.
Les pressions psychologiques intenses peuvent également exacerber les divisions au sein de la société, certains se sentant déçus par le monde et le système politique ou social, ce qui crée un sentiment de méfiance mutuelle.
Ces effets ne se limitent pas au temps de guerre, mais s’étendent sur de nombreuses années, nécessitant des efforts intensifs pour reconstruire les relations sociales et restaurer un sentiment d’appartenance et de solidarité.
La prise en compte de ces blessures sociétales est un élément essentiel du parcours de rétablissement psychologique global à Gaza.
Les leçons de l’histoire
L’histoire regorge d’exemples montrant que l’impact psychologique de la guerre ne s’arrête pas à la fin des combats.
En Europe, après la Seconde Guerre mondiale, les gens ont mis des années à surmonter le traumatisme de la destruction. En Bosnie, les effets psychologiques de la guerre se sont poursuivis pendant des décennies après la fin du conflit.
À Gaza même, des études menées après l’agression israélienne de 2014 ont montré que les enfants qui avaient perdu leur maison ou des êtres chers étaient les plus touchés par des troubles psychologiques à long terme.
Quelle est la suite ?
Après un cessez-le-feu, la mise en place de programmes de soutien psychologique complets et durables devient une priorité absolue. Ce soutien ne peut se limiter à une assistance individuelle, mais doit inclure l’ensemble de la communauté.
Les centres communautaires peuvent être un havre de paix où les enfants peuvent jouer et s’exprimer, et où les femmes et les hommes peuvent bénéficier d’un soutien de groupe qui les aide à retrouver leur équilibre psychologique.
La formation de cadres locaux de médecins et de psychothérapeutes est une étape essentielle dans le renforcement des capacités à long terme au sein de la communauté.
Les arts et le théâtre peuvent également être des outils efficaces pour exprimer les traumatismes, ce que les Palestiniens ont prouvé être capable d’utiliser pour renforcer leur résilience collective.
Les défis auxquels nous sommes confrontés
Bien sûr, la route n’est pas facile. Le manque de ressources, l’occupation en cours et les divisions politiques font du travail psychologique un grand défi. Mais le plus grand défi consiste à changer les perceptions sociales sur la santé mentale et à faire passer le message que la psychothérapie n’est pas un luxe mais une nécessité absolue pour retrouver la vie.
Le pouls de la vie dans les ruines
La psychothérapie après un cessez-le-feu n’est pas seulement un outil pour soulager la douleur, mais une fenêtre pour reconstruire l’esprit et faire renaître l’espoir dans les âmes.
À Gaza, la persévérance ne se manifeste pas seulement face à la destruction, mais aussi dans la capacité du Palestinien à se relever, quelle que soit la profondeur de la blessure.
Lorsque les blessures psychologiques guérissent, la vie palpite dans les veines et les âmes deviennent plus fortes que toutes les tentatives d’oblitération et d’oppression.
La guérison de l’âme est le début de la guérison de la nation, et la nation qui guérit les blessures de son âme ne sera jamais vaincue.
Auteur : Samah Jabr
* Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l'Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est Professeur adjoint de clinique, à George Washington. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts - Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
15 janvier 2025 – Alquds.com – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau
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