Mzawadeh, le patriotisme déclamatoire qui affaiblit notre lutte pour la libération

Novembre 2018 - Des milliers de Palestiniens continuent de protester près de la clôture de #Gaza à l'occasion du 30e vendredi de la Grande Marche du retour, appelant à la fin du siège et au droit au retour des réfugiés palestiniens - Photo : Mohammed Zaanoun / Activestills.org

Par Samah Jabr

Un jour, j’ai contesté la décision d’un collègue qui avait changé l’horaire de ma conférence sans me consulter ni demander mon accord. Mon objection était courte, un e-mail d’une seule ligne demandant une explication. Sa réponse, cependant, a été un sermon sans fin. Il a longuement écrit sur les martyrs, les prisonniers et son engagement inébranlable envers la Palestine – pourtant, malgré toute sa rhétorique patriotique, il n’a jamais répondu à la simple question : pourquoi a-t-il changé l’heure mon exposé sans m’en informer ?

Ce phénomène est bien connu dans la société palestinienne sous le nom de mzaawadeh (المزاودة) : l’habitude de surpasser les autres dans des démonstrations de patriotisme. Il ne s’agit pas de faire un véritable sacrifice, mais de se montrer plus révolutionnaire, plus dévoué, plus palestinien que quiconque.

Cela contamine la politique, la vie sociale et même la religion, transformant la solidarité en spectacle et remplaçant la responsabilité par la théâtralité.

À première vue, le mzaawadeh peut sembler une curiosité inoffensive de la culture politique, mais il est en réalité profondément corrosif. Il alimente la division, réduit la critique au silence et remplace la véritable stratégie par des slogans vides de contenu.

Au lieu de renforcer l’unité, il engendre la suspicion : les camarades deviennent des concurrents et les alliés des adversaires.

Cela a également un impact psychologique. Dans une société où l’engagement est constamment mesuré et remis en question, les gens se sentent obligés de prouver leur valeur.

Les militants se démènent jusqu’à l’épuisement, de peur d’être considérés comme insuffisamment dévoués. La souffrance personnelle est dissimulée, car admettre la douleur peut être confondu avec la faiblesse ou la trahison.

Il en résulte un épuisement généralisé, un chagrin sans les mots pour le dire, et une culture qui récompense les postures plutôt que la véritable résilience.

Pire encore, le mzaawadeh étouffe la pensée critique. La peur d’être qualifié de déloyal décourage l’autoréflexion et le débat honnête. Au lieu de s’engager dans des discussions approfondies sur la stratégie, les gens s’accrochent à des slogans rigides.

L’obsession de prouver son engagement éclipse le véritable travail de résistance. Celui qui parle le plus fort prend plus d’importance que celui qui a un réel impact.

Cette culture de la performance affaiblit de l’intérieur le militantisme palestinien. Au lieu de se concentrer sur le véritable oppresseur, les mouvements gaspillent leur énergie dans des rivalités internes, chaque organisation remettant en question le dévouement de l’autre.

Les accusations fusent : « Pas assez révolutionnaire », « Trop pragmatique », « S’associer avec les mauvaises personnes ». La bataille devient une question de pureté idéologique plutôt que de résistance efficace, consommant une énergie qui devrait être dirigée vers l’extérieur.

Ce cycle autodestructeur de luttes intestines ouvre la voie au fratricide.

Le fratricide, c’est-à-dire la destruction interne d’un mouvement par ses propres membres, n’est pas seulement une tragédie historique, c’est une crise permanente. Lorsque les organisations rivalisent de zèle révolutionnaire, elles perdent de vue l’objectif : la libération. L’ennemi n’a plus besoin de diviser les Palestiniens, ils le font eux-mêmes.

Le mouvement Fatah transforme les différences idéologiques en conflits acrimonieux, où la loyauté envers une faction ou un dirigeant éclipse la cause collective.

Pour briser ce cycle, les Palestiniens doivent redéfinir ce que signifie être engagé dans la lutte. La véritable résistance ne consiste pas à savoir qui peut tenir le discours le plus radical, mais à savoir ce qui est efficace.

La lutte armée, le travail humanitaire, la résilience psychologique, le militantisme intellectuel, chacun joue un rôle. Aucune voie ne définit à elle seule la loyauté envers la Palestine, et aucun groupe n’a le monopole du sacrifice.

Plus important encore, la santé mentale doit être considérée comme faisant partie de la lutte. Prendre soin de soi n’est pas une trahison. Une action réfléchie et stratégique n’est pas une faiblesse. Un mouvement durable a besoin de personnes qui soient non seulement résistantes physiquement, mais aussi fortes émotionnellement et psychologiquement.

Se libérer du mzaawadeh signifie rejeter la concurrence sur le patriotisme au profit de la force collective. Cela signifie passer de la compétition à la collaboration, des déclarations vides de sens à un impact réel.

La question ne devrait jamais être : qui est le plus dévoué ? La question devrait être : qu’est-ce qui nous rapprochera de la libération ?

Parce qu’en fin de compte, la véritable révolution ne consiste pas à prouver sa loyauté, mais à obtenir justice.

1er mars 2025 – Tranmsis par l’auteure – Traduction : Chronique de PalestineVersion originale

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