Par Jacob Burns
La prison de Jéricho joue un rôle clé dans un appareil répressif palestinien visant à étouffer toute dissidence, selon les observateurs.
Le journaliste palestinien Sami al-Sai devait être libéré de sa période de rétention dans les locaux des services du renseignement palestinien à Tulkarem en février, mais juste au moment où il allait partir, il a été arrêté à nouveau et transféré à la prison de Jéricho.
Là, il a subi 15 jours d’interrogatoire et de torture, a-t-il déclaré à Al Jazeera.
“Ils m’ont accroché au plafond de la cellule avec une corde attachée autour de mes bras qui étaient tirés derrière moi. C’était tellement douloureux…”, dit-il, notant qu’il avait été battu sur les pieds avec un tuyau pendant une autre séance d’interrogatoire. “Je ne pouvais pas imaginer une telle douleur … Ensuite, je ne pouvais plus marcher correctement, je ne pouvais plus bouger mes bras”.
Sai a été libéré après avoir payé une amende pour éviter une peine de trois mois de prison pour des liens supposés avec le mouvement palestinien Hamas, basé à Gaza.
Son histoire s’insère dans celles de multiples abus, dont les ex-détenus, leurs familles, les avocats et les organisations de défense des droits de l’homme disent être de plus en plus fréquents en Cisjordanie occupée, et surtout Jéricho. La prison, disent-ils, joue un rôle clé dans un appareil répressif palestinien qui tente d’étouffer la dissidence et d’emprisonner les opposants politiques.
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“Les gens sont soumis à la torture en de nombreux endroits lorsqu’ils sont sous la garde de l’Autorité palestinienne [AP]”, a déclaré Anas Barghouti, un avocat des droits de l’homme vivant à Ramallah. “Beaucoup de gens sont également confrontés à la torture à Jéricho, mais ce qui différencie cette prison, c’est qu’il s’agit surtout d’un lieu pour les prisonniers politiques”.
Barghouthi a déclaré à Al Jazeera qu’un nouveau “comité de sécurité”, un regroupement d’agences palestiniennes de renseignement mis en place en 2016 à Jéricho, a accru le pouvoir des services de sécurité parce qu’ils travaillent de façon coordonnée et rendent compte directement au président [Abbas]. “Ce comité a été mis en place pour s’occuper des personnes accusées d’avoir soutenu [Mohammed] Dahlan“, explique-t-il, se référant à un adversaire exilé de l’ex-président Mahmoud Abbas, “mais c’est maintenant utilisé comme un prétexte pour des arrestations politiques de différentes sortes”.
Un porte-parole de l’AP a confirmé à Al Jazeera que le comité avait été mis en place en 2016 et qu’il rendait compte au président [palestinien].
Un résident de Hébron, qui s’est exprimé devant Al Jazeera sous couvert de l’anonymat, a déclaré qu’il avait été détenu dans la prison de Jéricho à l’instigation du “comité de sécurité” pendant deux mois cet été, accusé d’avoir des liens avec le Hamas et de posséder des armes – accusations qu’il nie.
Il a déclaré qu’il semblait que le comité de sécurité exerçait un grand pouvoir sur les juges lors de ses audiences bimensuelles sur les détentions : “Les audiences étaient une blague. Tout était décidé d’avance, et ils me retinrent tout de suite”. On lui a refusé l’accès à un avocat et on l’a torturé en le plaçant dans une position douloureuse jusqu’à cinq heures de rang, a-t-il ajouté, notant qu’il avait été libéré après avoir payé une caution de 10 000 shekels (2800 dollars US).
Les groupes de défense des droits de l’homme ont condamné le nombre croissant de détentions arbitraires imposées par les forces de sécurité palestiniennes. Ashraf Abu Hayyeh, conseiller juridique d’Al-Haq, a déclaré à Al Jazeera que la récente détention de Shadi al-Nammoura, un membre du Hamas de Dura, était sans précédent. Shadi est détenu dans la prison de Jéricho, même si un tribunal a ordonné sa libération à quatre reprises. Au début, les services de renseignement palestiniens avaient ajouté de nouvellles accusations après chaque décision de mise en liberté, mais depuis le 3 août – en plus d’une courte période où il a été placé sous l’autorité du gouverneur de Naplouse – il est resté détenu sans qu’il y ait de nouvelles accusations.
“Peut-être dans le passé, les ordres de libération étaient ignorés pendant un jour ou trois. C’est déjà illégal, bien sûr, mais ce que nous voyons maintenant est quelque chose de nouveau – quelque chose que nous n’avions pas vu auparavant”, a déclaré Hayyeh à Al Jazeera. Les lettres adressées aux autorités concernant la détention sont restées sans réponse, a-t-il ajouté.
Le père de Shadi, Faiz al-Nammoura, a déclaré que son fils avait passé plus de sept ans dans les prison israéliennes avant d’être libéré en novembre dernier. L’AP l’a ensuite arrêté sur son lieu de travail dans le village, le 25 mai.
“Je veux le revoir, sans attendre”, nous dit Faiz.
Pendant ce temps, le salon de Noha Halaweh dans la vieille ville de Naplouse est décoré de photos de son mari, Ahmed, qui a été battu à mort dans la prison de Jneid par les forces répressives palestiniennes, le 23 août de l’année dernière. Cinq de ses fils se trouvaient dans la prison de Jéricho pour des accusations liées aux violences à Naplouse qui ont entraîné le meurtre de son mari. Elle dit que ses fils sont innocents et sont simplement emprisonnés à cause de leur père.
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“C’est une punition pour moi d’être seule dans la maison”, dit Halawe à Al Jazeera, notant que l’un de ses fils a été torturé à Jéricho – accroché du plafond de sa cellule par ses bras. “Il était comme une fleur. mais quand je l’ai visité, je ne l’ai pas reconnu.”
Adnan Damiri, un porte-parole de la police palestinienne, a nié qu’il y ait la moindre torture à Jéricho, en disant à Al-Jazeera: “Nous ne torturons personne. La prison de Jéricho est conforme à toutes les spécifications légales et est l’une des meilleures au monde à cet égard. Nous sommes ouverts aux organisations de défense des droits de l’homme qui veulent nous visiter.”
Les Palestiniens en Cisjordanie occupée, cependant, disent qu’ils vivent une période sans précédent de répression.
“Sous l’AP, nous avons régressé en termes de droits de l’homme depuis des années”, a déclaré Barghouti. “La situation est maintenant très mauvaise, et cela pourrait empirer. Les gens ont peur du comité de sécurité plus que tous les services existants parce que [grâce à ce comité] ils travaillent tous ensemble comme un seul homme.”
Auteur : Jacob Burns
28 septembre 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine