Par Samah Jabr
La comparution d’Israël devant la Cour internationale de justice de La Haye est une étape importante sur la voie de la justice et une contribution indispensable à la guérison du traumatisme historique du peuple palestinien.
Ce traumatisme a débuté avec la déclaration Balfour de 1917 et s’est poursuivi avec la Nakba de 1948, ainsi qu’avec les nombreuses guerres et agressions qui ont suivi. Ce traumatisme est présent dans le génocide que nous vivons actuellement, qui approfondit et élargit nos blessures historiques à un point tel qu’il ne peut être guéri sans une intervention en profondeur.
L’État d’Israël a toujours transgressé le droit international. Les puissances de l’Europe et des États-Unis ont été de connivence avec lui. Les Nations unies n’ont pas réussi à le dissuader ou à lui faire rendre compte de ses violations.
Les Palestiniens ont toujours eu une conscience aiguë de cette injustice, de cet abandon, de ces trahisons successives. L’impunité d’Israël tout au long de cette histoire a renforcé le sentiment d’isolement des Palestiniens et a affaibli notre foi dans les liens humains et l’équité de ce monde.
L’accusation portée par l’Afrique du Sud – et indépendamment de ses résultats – est venu corriger, au moins partiellement, cette faille dans la perspective palestinienne du monde, en raison de sa solidarité, de sa reconnaissance et de son soutien, qui servent d’antidote à l’amertume que nous avons ingurgitée pendant plus d’un siècle.
La comparution d’Israël devant la Cour internationale de justice est toutefois porteuse d’un symbolisme important pour notre cause historique. L’État d’Afrique du Sud, principal moteur du procès, est une icône de la confrontation et du triomphe sur l’oppression raciale et ethnique.
Ses arguments, qui tiennent Israël pour responsable de l’accusation de génocide, soutiennent les droits des Palestiniens et confrontent les puissances occidentales et leur système international de domination, à leur complicité dans une tyrannie ethnique qui a taché leurs mains de sang.
Nous saluons les peuples d’Afrique, victimes des violations passées des droits de l’homme, et solidaires des Palestiniens, les victimes du présent.
Cette solidarité nous libère de l’humiliation née de notre exclusion de la conscience de la communauté humaine. Elle nous assure qu’il y a encore de la bonté dans le monde. Elle nous donne confiance en notre humanité partagée. Elle allume une lueur d’espoir qu’il y a de l’équité et de la justice dans un monde qui, pendant plus d’un siècle, a assombri nos vies par l’oppression.
La plupart d’entre nous, en Palestine, croient en un tribunal céleste et en la justice divine. Toutefois, nous avons bienconscience que la foi religieuse ne doit pas être un obstacle à la poursuite inlassable de la justice ici sur terre.
La grande importance des procès internationaux réside dans le fait qu’ils donnent une voix à ceux qui ont été victimes d’injustices.
Cette action répare les blessures psychologiques et fait de nous des survivants aguerris ; elle nous renforce dans notre volonté d’amener les responsables de crimes à faire les réparations qui s’imposent, afin que leurs méfaits ne restent pas sans une juste condamnation. Le fait de demander des comptes aux responsables est un élément dissuasif essentiel pour eux comme pour le reste du monde.
Hier, les Égyptiens sont descendus dans la rue en scandant : « Ils ont agi, les enfants de Mandela… et nous (les Égyptiens) sommes toujours dans la peur, la honte et l’humiliation ». Il s’agissait peut-être de leur réaction aux affirmations de l’équipe de défense israélienne selon lesquelles l’Égypte est responsable du bouclage de la frontière avec Gaza et de l’impossibilité d’acheminer l’aide.
La Namibie a ajouté sa voix à celle de l’Afrique du Sud, peut-être en réaction à la décision de l’Allemagne, qui s’est jointe au processus judiciaire pour soutenir Israël, comme si le fait d’encourager l’extermination actuelle des Palestiniens pouvait expier l’histoire allemande d’extermination du peuple juif et de beaucoup d’autres.
La Namibie a rappelé au tribunal les crimes allemands contre le peuple namibien, contribuant ainsi à révéler la complète histoire des acteurs actuels à La Haye.
La solidarité de l’Afrique du Sud avec la Palestine nous donne de l’espoir pour le mouvement mondial de résistance à la discrimination raciale, et les Palestiniens et leurs partisans doivent profiter pleinement de ce moment historique.
Nous devons continuer à nous engager dans différents cadres et par tous les moyens, que ce soit par le biais d’organisations professionnelles, de syndicats, de canaux diplomatiques ou par la pression des manifestations de rue.
Nous devons affirmer les droits des Palestiniens, rendre compte de leurs souffrances et affronter leurs oppresseurs.
Cette mission nécessitera des efforts concertés, de la constance face à nos défis et une patience à toute épreuve. Même si la route est longue, le procès de La Haye et ces actions de soutien peuvent servir de catalyseur pour une véritable paix fondée sur la justice et le respect des droits longtemps bafoués de la Palestine.
Le moment est propice à la construction d’un puissant mouvement international qui appelle à la fin de l’occupation historique de la Palestine, à la réparation de cette injustice et à la reconnaissance des préjudices indicibles endurés depuis tant de décennies.
Notre devoir est maintenant de tenir bon et de ne pas ménager nos efforts – tant au niveau populaire que politique – pour faire naitre un mouvement mondial dont le fer de lance sera le souffle de ce moment historique à la Cour internationale de justice.
Auteur : Samah Jabr
* Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l'Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est Professeur adjoint de clinique, à George Washington. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts - Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
19 janvier 2024 – Transmis par l’auteure – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah