Par Samah Jabr
Cette semaine, l’American Psychiatric Association (APA) a publié une déclaration sur les « attaques terroristes en Israël » et l’American Academy of Child & Adolescent Psychiatry (AACAP) a publié une réponse du même acabit aux « récentes attaques et actes de terreur en Israël ». En l’état actuel, il s’agit de condamnations très décevantes et unilatérales qui n’abordent pas l’occupation par Israël de la Palestine qui dure depuis 75 ans et les nombreuses atrocités commises à l’encontre des Palestiniens durant toute cette période.
Alors que l’APA dépeint la résistance palestinienne comme de l’antisémitisme et du terrorisme, le droit d’un peuple occupé à résister est à la fois légal en vertu du droit international et, comme la santé mentale elle-même, est un droit de l’homme fondamental.
L’effroyable injustice qui apparaît dans les positions de l’APA et de l’AACAP, reflète une dangereuse méconnaissance ou une ignorance délibérée des effets de l’occupation sur la santé physique et mentale des Palestiniens, et en particulier du siège de Gaza. En ne prenant pas en compte les souffrances à long terme des Palestiniens et en se rangeant sans équivoque du côté de l’occupant, l’APA et l’AACAP ont violé leurs propres principes d’impartialité et de neutralité et ont mis en évidence leur manque d’engagement à répondre aux besoins de tous en matière de santé mentale.
Des vies inégales
Les déclarations des principales associations psychiatriques mondiales négligent le contexte historique et ferment les yeux sur la population assiégée de Gaza, dont la moitié est constituée d’enfants. Elles ne mentionnent pas les terribles bombardements de la petite enclave ni ce que de nombreux groupes de défense des droits qualifient aujourd’hui de génocide à l’encontre des Palestiniens.
De même, les déclarations ignorent totalement l’impact psychologique et le traumatisme de l’occupation. Les groupes de défense des droits ont documenté les conditions inhumaines depuis des années, notamment dans les rapports de Physicians for Human Rights, d’Amnesty International et de Save the Children, entre autres.
Dans sa campagne brutale de punition collective, Israël a coupé la nourriture, le carburant, l’électricité, l’eau et les fournitures médicales et, pour la première fois depuis 1948, a déplacé des centaines de milliers de Palestiniens qui ont été contraints de fuir leurs maisons.
Un tiers des plus de 2200 Palestiniens tués et des près de 9000 blessés à ce jour à Gaza sont des enfants, mais leur vie ne mérite apparemment pas d’être mentionnée par l’AACAP.
Même dans sa déclaration timide sur la « crise » actuelle à Gaza, l’AACAP ne peut se résoudre à « pleurer » les enfants tués, n’exprimant rien de plus qu’une vague préoccupation pour les « images » potentiellement pénibles auxquelles les enfants pourraient être exposés. C’est comme si les jeunes adolescents n’avaient pas été contraints d’endurer cinq guerres israéliennes contre Gaza, qui ont fait de nombreuses victimes civiles, au cours des quinze dernières années.
Au-delà des violences horribles, Gaza a été épuisée par un blocus paralysant de 16 ans [aza de nourriture, de carburant, d’électricité, d’eau et de fournitures médicales], décrite comme une prison à ciel ouvert avec la plus forte densité de population. Ces derniers jours, plus d’un million de personnes ont reçu l’ordre d’Israël d’évacuer les lieux sans pouvoir aller nulle part.
Il semble évident que les préoccupations des professionnels de la santé mentale devraient s’étendre à toutes les personnes de la même manière. Qui mieux que les psychiatres peut comprendre l’importance de la liberté pour les êtres humains – pour les Palestiniens comme pour les Israéliens ? Sinon, la seule explication à ce deux poids deux mesures est que l’APA et l’AAPAC ont adopté en bloc le discours officiel d’Israël et sont incapables de considérer les Palestiniens comme des êtres humains.
Une propagande dangereuse
Ces déclarations déshumanisent encore davantage les Palestiniens en ignorant les problèmes de santé mentale et les traumatismes collectifs qu’ils subissent depuis des décennies en raison de l’oppression, de la violence permanente, de l’humiliation et de l’injustice infligées par l’occupation.
Le bombardement d’écoles, d’ambulances et d’hôpitaux palestiniens – y compris le seul hôpital psychiatrique de Gaza – qui a eu lieu vendredi matin, comme je l’ai appris de son directeur et de mon collègue, le Dr Abdullah Aljamal, n’est qu’un exemple de ces préjudices chroniques.
De telles déclarations de la part d’organisations médicales – qui prétendent ne pas être des lobbies politiques – ne font que tenter d’attiser la haine du public et renforcer la dangereuse propagande soutenant les actions génocidaires d’Israël à l’égard des Palestiniens de Gaza.
L’APA et l’AACAP auraient mieux fait de s’opposer aux mensonges vicieux répandus par le gouvernement et les médias américains, y compris l’horrible diffamation des « bébés décapités », qui a été démentie depuis.
Si ces organisations étaient réellement soucieuses du bien-être des civils ou des enfants, elles auraient pu s’attaquer à l’arsenal massif de l’aide militaire américaine à Israël, qui aide ce pays à mettre en œuvre ses plans meurtriers à l’encontre des Palestiniens.
L’APA et l’AACAP serviraient mieux le peuple israélien en l’aidant à se débarrasser de ses attitudes arrogantes et de son sentiment d’avoir droit à tout. Elles pourraient contribuer à endiguer les violences futures en reconnaissant la lutte légitime des Palestiniens pour vivre dans la liberté et la dignité et en admettant que partout où il y a oppression, il y a résistance.
Il est essentiel d’adopter une approche plus équilibrée et plus empathique, qui reconnaisse les problèmes de santé mentale des deux parties et plaide en faveur d’une résolution juste et pacifique pour les deux peuples. Une résolution fondée sur des principes doit s’appuyer sur les droits de l’homme et le droit international.
La santé mentale en tant que droit humain fondamental était le thème de la dernière Journée mondiale de la santé mentale, le 10 octobre. Œuvrer en faveur de la santé mentale dans le monde exige une perspective globale et inclusive qui soutienne véritablement toutes les personnes touchées par cette crise de longue date et qui n’a jamais cessé.
Les psychiatres et les professionnels palestiniens de la santé mentale, appellent tous leurs collègues et les organisations de santé et de santé mentale du monde entier à respecter l’éthique de notre rôle professionnel et à ne pas se laisser corrompre par l’idéologie politique.
Nous devons nous opposer à l’APA, à l’AAPAC et à toutes les autres organisations professionnelles qui contribuent à des représentations haineuses et négatives du peuple palestinien.
Ces déclarations dangereuses les rendent complices de l’oppression et du massacre des Palestiniens.
Auteur : Samah Jabr
* Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l'Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est Professeur adjoint de clinique, à George Washington. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts - Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
15 octobre 2023 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Boutros