Par Medea Benjamin, Nicolas Davis
Le vendredi 8 décembre 2023, le Conseil de Sécurité, pour la quatrième fois seulement de son histoire, s’est réuni en en vertu de l’article 99. L’article 99 est une disposition de la Charte des Nations Unies qui permet au Sécrétaire Général de saisir ce conseil afin qu’il réponde à une crise qui menace « le maintien de la paix et de la sécurité internationales. »
Les seules fois où cet article a été mis en application ont été l’invasion belge du Congo en 1960, la crise des otages à l’ambassade US en Iran en 1979 et la Guerre civile du Liban en 1989.
Antonio Guterres, le Secrétaire Général de l’ONU a déclaré qu’il avait actionné cet article afin de demander un cessez-le feu immédiat à Gaza parce que, poursuit-il , « nous sommes arrivés à un point de rupture » qui constitue « une grande menace d’effondrement du système de soutien humanitaire à Gaza. »
Les Emirats-Arabe-Unis ont rédigé en ce sens un projet de résolution qui a vite été parrainé par 97 pays.
Le Programme Alimentaire des Nations Unies a déclaré dans un rapport que Gaza était immédiatement menacée de famine de masse puisque neuf personnes sur dix passaient des journées entières sans nourriture. Avant la mise en œuvre de l’article 99, Rafah était la seule des cinq circonscriptions de Gaza à bénéficier d’un tant soit peu d’aide de la part de l’ONU.
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Le Secrétaire Général a déclaré avec force « les brutalités perpétrées par Hamas ne peuvent en aucun cas justifier la punition collective du peuple palestinien… Le Droit humanitaire international ne peut pas être appliqué sélectivement. Il engage toutes les parties de façon égale et en tout temps et l’obligation de le respecter n’est pas soumis pas au principe de réciprocité. »
M.Guterres a conclu « les gens de Gaza sont au bord de l’abîme…Les regards du monde – et ceux de l’histoire- sont braqués sur nous. Il est temps d’agir ».
Les membres de l’Onu ont défendu avec des arguments convaincants la résolution pour un cessez-le feu humanitaire immédiat et le Conseil a voté à 13 contre 1 pour son approbation, le Royaume Uni s’étant abstenu.
Mais le vote des Etats-Unis, l’un des cinq membres du Conseil de Sécurité à jouir du droit de véto, a conduit au rejet de cette résolution, plongeant le Conseil dans l’incapacité d’agir comme le demandait le secrétaire Général.
Nous avons eu là le seizième véto des Etats-Unis d’Amérique depuis 2000. Il faut dire que 14 de ces vétos ont été actionnés par les USA pour protéger Israël ou bien les politiques us-américaines (toujours favorables à Israël) de toute action internationale ou mesure forçant Israël à rendre des comptes.
Alors que la Russie et la Chine ont apposé leur véto à des projets de résolutions portant sur différents conflits dans le monde, qu’ils concernent le Myanmar, le Vénézuela ou toute autre crise, on ne trouve rien de semblable à ce que font les USA en faveur d’un seul et unique pays : lui fournir l’impunité sous couvert de la légalité internationale en toute circonstance et quoi qu’il fasse.
Les conséquences de ce véto sont extrêmement graves, chose qu’a soulignée l’ambassadeur du Brésil au Nations Unies qui a déclaré que si les USA n’avaient pas frappé de véto la résolution que le Brésil avait présentée le 18 octobre « des milliers de vies auraient été épargnées ».
Même position chez l’ambassadeur de l’Indonésie qui a lancé à l’auditoire l’interrogation « combien de gens vont encore mourir avant que cette attaque incessante soit arrêtée, 20 000, 50 000, 100 000 ? ».
Après le véto usa-américain au Conseil de Sécurité, l’Assemblée Générale de l’ONU a pris sur elle les appels de l’écrasante majorité des pays à un cessez-le feu et le projet de résolution présenté en ce sens par la Jordanie a été approuvé par 120 pays contre 14 et 45 abstentions.
Les 12 pays qui ont voté contre, au côtés des Etats-Unis et d’Israël ne représentent que moins de 1% de la population mondiale.
L’isolement diplomatique dans lequel se sont retrouvés les Etats-Unis aurait dû être une sonnette d’alarme, surtout quand on sait qu’un sondage de Data for Progress a révélé que 66% des us-Américains étaient en faveur d’un cessez-le feu et que seulement 29% des Israéliens soutenaient une invasion terrestre immédiate de Gaza.
Avec leur véto, les USA ont violemment claqué la porte à tout appel à un cessez-le feu lequel aurait mis fin au massacre des Palestiniens mais ces appels n’ont pas cessé puisque le 12 décembre, l’Assemblée Générale s’est une fois encore réunie, pour soumettre au vote une résolution identique à celle présentée au Conseil de Sécurité.
Résultats : 153 pour et 10 contre, avec 33 nouveaux pays grossissant le nombre des « oui ». Les résolutions de l’Assemblée Générale ne sont pas contraignantes mais elles ont leur poids politique puisqu’elles lancent avec force le message que la communauté internationale est écoeurée par le carnage.
Un autre puissant outil que le monde peut utiliser pour mettre fin au massacre est la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide, convention qu’aussi bien Israël et les USA ont ratifiée.
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La Convention prévoit qu’il suffit qu’un seul pays présente un cas de génocide pour que la Cour Internationale de Justice (la CIJ) le traite et même si les procédures peuvent traîner pendant des années, la Cour à le pouvoir d’ordonner des mesures préliminaires pour protéger les victimes.
C’est ce qu’a exactement fait la Cour le 23 janvier 2020 dans un procès introduit par la Gambie contre le Myanmar accusant celui-ci de génocide contre la minorité Rohingya.
Dans un violente campagne militaire menée fin 2017, le Myanmar a massacré des dizaines de milliers de Rohingya et brûlé une douzaine de villages. 740 000 Rohingya se sont enfuis au Bengladesh et une mission d’établissement des faits mandatée par l’ONU a conclu que les 600 000 qui sont restés au Myanmar « couraient un risque de génocide plus grand que jamais ».
La Chine, dans le Conseil de Sécurité, a apposé son véto à une action devant la Cour Internationale de Justice, ce qui a amené la Gambie qui se relevait elle-même de vingt années de répression sous une dictature brutale, à actionner la Convention sur le Génocide pour porter le cas devant la CIJ.
Cette action a rendu possible un arrêt de la CIJ prononcé par 17 juges par lequel il est ordonné au Myanmar qu’il prévienne le génocide contre les Rohyingas tel que l’exige la Convention. La Cour a émis cet arrêt comme mesure préventive.
C’est l’équivalent d’une injonction préliminaire dans un tribunal national, injonction qui ne préjuge pas de l’opportunité de l’affaire laquelle ne sera établie que quelques années plus tard dans un arrêt définitif.
Cet arrêt a aussi ordonné au Myanmar qu’il présente tous les six mois un rapport qui précise les actions que ce pays entreprend pour protéger les Rohingya.
Le comportement du Myanmar est désormais sous l’œil vigilant de la Cour.
La question maintenant est de savoir quel pays prendra l’initiative de déposer une requête pour génocide contre Israël devant la CIJ en vertu de la Convention contre le Génocide.
Des militants discutent déjà de cette question avec un certain nombre de pays. Les organisations Root Action et World Beyond War ont mis en place une action alert qui permet à chacun d’envoyer des messages aux candidats les plus probables qui sont L’Afrique du Sud, le Chili, la Colombie, la Jordanie, l’Irlande, le Bélize, la Turquie, la Bolivie, le Honduras et le Brésil.
Il y a aussi une pression montante sur la CIJ pour qu’elle traite les accusations de génocide portées contre Israël.
La CIJ a enquêté sur Hamas pour crimes de guerre mais n’a montré que peu d’empressement à enquêter sur Israël.
Lors d’une visite qu’il a faite dans la région, Karim Khan a été empêché par Israël de se rendre à Gaza et a été critiqué par les Palestiniens d’avoir seulement visité les lieux attaqués par Hamas et d’avoir évité de se rendre en Cisjordanie où il aurait vu les centaines de colonies illégales, les checkpoints et les camps de réfugiés.
Cependant tant que les usa font un usage abusif, usage aux conséquences souvent tragiques de leur droit de véto pour paralyser les instruments de la légalité internationale, les actions individuelles économiques et diplomatiques d’un pays auront plus d’impact que les discours à New York.
Alors que jusqu’aux temps présent, il y avait deux douzaines de pays qui ne reconnaissaient pas Israël, on constate que durant les deux derniers mois , le Belize et la Bolivie ont coupé leurs liens avec Israël alors que d’autres , le Bahrein, le Tchad , le Chili, la Colombie, le Honduras, la Jordanie et la Turquie en ont retiré leurs ambassadeurs.
D’autres pays ont des positions moins tranchées puisque tout en condamnant publiquement Israël, ils maintiennent avec lui leurs liens économiques.
L’Egypte a explicitement accusé Israël de génocide et les USA d’avoir empêché un cessez-le-le feu.
Pourtant, en poursuivant son partenariat du long terme avec Israël dans le blocus de Gaza, allant jusqu’à restreindre l’entrée de l’aide humanitaire dans ce territoire à travers ses frontières, l’Egypte se fait complice du génocide qu’elle condamne.
Plus de cohérence entre paroles et actes devrait conduire l’Egypte non seulement à ouvrir son point de passage vers Gaza pour toutes les aides humanitaires mais à arrêter toute coopération avec le blocus imposé par Israël et à remettre en cause sa compromission servile avec Israël et les USA.
Le Qatar pour sa part, a déployé de gros efforts pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza et a éloquemment dénoncé le génocide israélien devant le Conseil de Sécurité. Mais il faut dire que ce pays parle et agit au nom du Conseil de Coopération du Golfe qui inclut l’Arabie Saoudite, le Bahrein et les Etats Arabes Unis.
Dans le cadre des dits Accords d’Abraham, les cheikhs de Bahrein et des EAU ont tourné le dos à la Palestine pour s’engager dans des contrats d’armement aux relents toxiques s’élevant à plusieurs centaines de millions de dollars avec Israël.
A New York, les EAU ont parrainé le dernier projet de résolution avorté et son représentant a déclaré : « le système international est au bord du gouffre puisque la force prime le droit et que le respect du droit humanitaire international dépend de l’identité de la victime et du bourreau. »
Et pourtant, ni les EAU ni le Bahrein n’ont mis fin à leurs affaires dans le cadre des Accords d’Abraham ni à leurs rôles dans les politiques us-américaines fondées sur le principe de « la force prime le droit » et qui ont semé le chaos pendant des dizaines d’années au Moyen-Orient.
Plus d’un millier de personnes employées par l’US Air Force ainsi que des douzaines d’avions de guerre US se trouvent toujours dans la base Al Dhafra alors que le Bahrein dans sa capitale, Manama, reste toujours et cela depuis 1941, le siège de Cinquième Flotte us-américaine.
De nombreux experts comparent l’apartheid israélien à l’apartheid sud-africain. Les discours à l’ONU ont peut-être aidé à abattre l’apartheid sud-africain mais les vrais changements n’ont eu lieu quand le monde a embrassé une campagne mondiale qui a conduit à son isolement.
Les partisans inconditionnels d’Israël aux Etats-Unis n’ont pas tenté d’interdire la campagne BDS ( Boycott, désinvestissement et sanctions) parce qu’elle est illégitime ou anti-sémite mais parce qu’elle est efficace.
Boycotter Israël, le soumettre à des sanctions et le priver d’investissements étrangers anciens et nouveaux est stratégie capable de mettre à bas l’impunité dont jouit ce régime génocidaire et expansionniste.
Le Représentant Suppléant us-américain aux Nations-Unies, Robert Wood, a déclaré au Conseil de Sécurité qu’il y avait « un décalage de fond entre les discussions que nous avons ici et les réalités sur le terrain ». En clair, seuls les points de vue us-américains et israélien méritent d’être pris au sérieux.
Pourtant, la source de la crise est justement dans le décalage entre le point de vue déformant du couple Israël- Etats-Unis et le monde réel qui hurle sa volonté d’arriver à un cessez-le-feu et d’offrir un peu de justice aux Palestiniens.
Israël, avec des bombes et des obus us-américains commet des crimes contre l’humanité en tuant et en mutilant des milliers de Palestiniens innocents alors que le reste de la planète assiste horrifié, telle est la réalité.
L’indignation des peuples du monde et les appels pour arrêter le massacre ne font que monter mais ce n’est pas suffisant, il faut que les dirigeants du monde aillent au-delà des votes et enquêtes non-contraignants pour mettre en place un boycott des produits israéliens et un embargo sur les ventes d’armes, des mesures à assortir de rupture des relations diplomatiques et autres actions qui conduiront à faire d’Israël un paria sur la scène internationale.
* Medea Benjamin est la cofondatrice de CODEPINK for Peace et l'auteure de plusieurs livres, dont Inside Iran : The Real History and Politics of the Islamic Republic of Iran. * Nicolas J S Davies est un journaliste indépendant, un chercheur pour CODEPINK et l'auteur de Blood on Our Hands : The American Invasion and Destruction of Iraq.Auteur : Medea Benjamin
Benjamin a grandi à Long Island, dans l'État de New York. Pendant sa première année à l'université de Tufts, elle s'est rebaptisée du nom du personnage de la mythologie grecque Médée. Elle a obtenu une maîtrise en santé publique à l'université de Columbia et une maîtrise en économie à la New School.
Benjamin a travaillé pendant dix ans comme économiste et nutritionniste en Amérique latine et en Afrique pour l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, l'Organisation mondiale de la santé, l'Agence suédoise de développement international et l'Institute for Food and Development Policy. Elle a passé quatre ans à Cuba et est l'auteur de trois ouvrages sur ce pays.
Auteur : Nicolas Davis
16 décembre 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine – Najib Aloui