L’indomptée

Photo : Mohammed Zaanoun / Active Stills / Al Jazeera
La participation des femmes a été élevée pendant la Grande Marche du Retour et de nombreuses femmes sont en première ligne des manifestations. Plus de 100 femmes ont été blessées par balles réelles au cours des six premiers mois de protestation et une a été tuée - Photo : Mohammed Zaanoun / Active Stills / Al Jazeera

Par Samah Jabr

Le village était situé dans une vallée tranquille, entourée d’oliveraies et de collines ondulantes. Pendant des semaines, les hommes s’étaient tenus à ses frontières, déterminés à protéger leur foyer.

Ils savaient qu’ils étaient dépassés en nombre, que leurs armes ne pouvaient rivaliser avec l’armée étrangère qui se profilait à l’horizon. Pourtant, ils se sont battus aussi longtemps qu’ils le pouvaient, convaincus que même une brève résistance valait mieux que la reddition.

Mais l’ennemi était implacable. Un à un, les défenseurs tombèrent, leurs corps jonchant le sol aux abords du village. Et lorsque le dernier d’entre eux fut terrassé, la voie était libre.

Les envahisseurs entrèrent à la tombée de la nuit. Ils ne venaient pas seulement pour conquérir, ils venaient pour briser l’esprit de ceux qui restaient.

Ils traversèrent méthodiquement le village, enjambant les corps tombés, leurs torches projetant de longues ombres sur les murs de pierre.

Ils se dirigèrent d’abord vers la maison du cheikh Darwish, le chef du village. Ses filles étaient réputées pour leur beauté et leur grâce, et les envahisseurs prirent ce qu’ils voulaient. Les cris des femmes emplirent la nuit, mais il n’y avait plus personne pour les arrêter.

De là, les soldats se répandirent dans le village, entrant dans les maisons où ne restaient que des femmes et des enfants. Les portes furent enfoncées à coups de pied, les familles déchirées et la dignité bafouée.

Certaines femmes pleuraient en silence, d’autres se défendaient, mais la résistance ne faisait qu’aggraver le châtiment.

Puis ils atteignirent la dernière maison.

À l’intérieur vivait Salma, une veuve depuis des années. Elle n’avait ni frères, ni père, ni fils, aucun homme pour la protéger. Lorsque les soldats entrèrent, elle attendait, debout au milieu de la pièce, les mains fermes.

Le chef de l’unité, un homme grand avec une cicatrice sur le visage, s’avança. Il avait vu la terreur sous de nombreuses formes, mais le calme dans ses yeux le troubla.

« Tu es seule », dit-il.

Salma ne répondit pas.

Il sourit. « Tu sais pourquoi nous sommes ici. »

Elle ne bougea toujours pas.

Il tenta de la saisir, certain que, comme les autres, elle s’effondrerait de peur. Mais au moment où il tendit la main, elle le frappa.

Tout était fini en quelques secondes. La lame qu’elle avait cachée brilla dans la faible lumière, et il recula en titubant, haletant. Sa main se porta à sa gorge, essayant d’empêcher la vie de le quitter.

Les autres soldats se figèrent, observant dans un silence stupéfait leur chef s’effondrer à leurs pieds.

Salma ne s’enfuit pas. Elle ne se laissa pas intimider pas. Elle leur fit face, son arme fermement serrée dans sa main. Les soldats, ébranlés par ce qu’ils avaient vu, hésitèrent. Puis, l’un après l’autre, ils firent demi-tour et s’enfuirent dans la nuit.

Lorsque le village osa se montrer à nouveau, les villageois trouvèrent les soldats tombés devant sa maison, et ils trouvèrent Salma, debout, indemne, inébranlable.

Au début, il y eut un soulagement. Puis, le silence.

Elle avait survécu.

Elle n’avait pas été enlevée.

Et cette survie s’accompagnait d’un malaise que personne ne pouvait nommer.

Les hommes, qui avaient combattu et perdu, évitaient son regard. Les femmes, qui avaient souffert, ne supportaient pas de la regarder. Même les anciens, qui guidaient le village depuis longtemps, étaient sans voix.

Les chuchotements commencèrent.

« Comment a-t-elle pu s’échapper alors que personne d’autre n’y est parvenu ? »

« Pourquoi est-elle indemne ? »

« A-t-elle passé un accord avec eux ? »

Son courage, au lieu de les inspirer, devint une accusation. Sa survie, au lieu d’être une victoire, devint un fardeau pour les autres. Elle avait fait ce que personne d’autre ne pouvait faire. Et cela était impardonnable.

Alors, ils se réunirent en secret et prirent une décision.

Avant l’aube, ils vinrent la chercher. Cette fois, ce n’était pas l’ennemi qui était à sa porte, c’était son propre peuple. Ils la menèrent à la périphérie du village, à l’endroit où gisaient leurs morts.

Elle ne protesta pas.

Elle ne supplia pas.

Elle se tint devant eux comme elle s’était tenue devant l’ennemi, la tête haute et dans un silence inébranlable.

Et lorsque la première pierre fut levée, personne n’osa la regarder dans les yeux.

28 février 2025 – Transmis par l’auteure – Version originale – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

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