Par Samah Jabr
Ma dernière rencontre avec le sionisme international a eu lieu à Paris, le 10 mars, après la projection du film documentaire « Derrière les Fronts » au cinéma des Trois Luxembourg. J’y étais pour participer au débat qui suit la projection du film dans la mesure où j’apparais de façon très visible dans le film lui-même. Mais, aussitôt après que l’un des spectateurs a posé une question, réelle et sincère, sur les psychopathologies que je rencontre en tant que praticienne en Palestine, un ami d’Israël s’est emparé du micro, saisissant l’occasion pour faire un long discours, haineux et chauvin, sur la « paranoïa des Palestiniens » et « la violence et le racisme naturels des Arabes », jusqu’à ce que, finalement, le public ne puisse plus tolérer sa diatribe et que monte un vif tollé général exigeant qu’il laisse s’exprimer quelqu’un d’autre.
Bloquer le débat public
Le nom, le sexe, la couleur, la religion et l’aspect de cette personne sont moins importants que son rôle : arriver à tout moment et en tout lieu possibles pour une activité qui reconnaît les Palestiniens et les montre comme défendant leurs droits. « Lui », je l’avais déjà rencontré d’innombrables fois dans le passé – quand je suis intervenue comme étudiante à l’université Saint Peters à New York il y a des années, quand je suis intervenue parmi les professionnels à l’« Évènement spécial de l’Espace de pensée » de la Tavistock and Portman NHS Foundation Trust à Londres, après la guerre de 2014 contre Gaza, et aujourd’hui au cinéma, à Paris.
Son rôle est d’occuper le temps consacré au débat public afin d’empêcher que n’ait lieu une discussion sérieuse, d’intimider les orateurs et le public par son attitude agressive et accusatrice, et de profiter de l’occasion pour diffamer et pour menacer les orateurs et les personnes chargées de l’organisation de cette activité qui reconnaît l’expérience palestinienne.
Actuellement, nous voyons bien qu’Israël se hâte d’inventer de nouvelles lois pour criminaliser et punir celles et ceux qui s’impliquent dans le BDS et qui mettent en avant les actions illégales, honteuses, d’Israël. Rien qu’en l’espace de ces derniers jours, Israël a expulsé Hugh Lanning, le président de la Campagne Solidarité Palestine pour son implication dans la critique d’Israël, et il a arrêté Kahlil Tufakji, le directeur du Centre palestinien pour les droits de l’homme (le PCHR), un expert en cartographie et colonisation.
Une liberté menacée
Pendant ce temps, les amis d’Israël en Europe et aux USA agissent, « plus royalistes que le roi », s’occupant des Palestiniens et de leurs amis internationaux, les cataloguant, tissant des mensonges pour salir leurs réputations, et les attaquant dans leurs moyens de subsistance. Partout, la puissante matraque d’Israël est brandie pour menacer quiconque ose critiquer l’occupation ou se mobiliser dans une action non violente pour aborder les violations des droits de l’homme en Palestine.
J’ai des amis qui ont reçu des menaces contre leur vie parce qu’ils sont impliqués dans un soutien aux droits des Palestiniens. Il faut se demander quel recours est laissé aux Palestiniens quand la diplomatie échoue et quand l’action non violente est criminalisée – poser cette question n’est pas encourager la violence, c’est observer la façon dont les partisans du sionisme, tout en bloquant toutes les voies possibles pour une réponse publique non violente, s’impliquent eux-mêmes dans les épisodes de violence qui suivent.
Dans ce contexte, le monopolisateur du microphone dans ce cinéma a, délibérément, fait la fausse déclaration que la projection de ce film avait été organisée dans le cadre de la « Semaine contre l’apartheid d’Israël ». Il porte l’accusation absurde que tant moi-même que la réalisatrice du film serions des agents du terrorisme et, ce faisant, il met en danger nos carrières, notre liberté personnelle et notre sécurité physique. Il affirme en outre le mensonge incendiaire et colossal que j’identifierais les civils israéliens comme des cibles légitimes de la résistance armée !
Enfin, il admet trouver le film « incompréhensible » ! Peut-être parce que dans sa conscience et dans son esprit, persiste cette contre-vérité usée jusqu’à la corde : que les Palestiniens « n’existent pas – où sont les Palestiniens ? ». Mais le film donne une vie et une présence indéniables aux Palestiniens dans leur merveilleuse diversité : l’archevêque Atallah Hannah, le détenu gréviste de la faim Sheikh Khader Adnan, la directrice de l’organisation “queer” Aswat, un professeur universitaire, Dr. Abaher Al Saqqa, un autre universitaire, l’ancienne prisonnière universitaire Rula Abu Dahho, et Demma Zalloum, cette jeune mère qui sauva son enfant de l’enlèvement par les colons ; tous ces Palestiniens se joignent à moi pour vous transmettre ce message commun : nous continuerons de partager nos divers témoignages sur l’occupation, quelles que soient les forces utilisées pour briser les tissus de la solidarité palestinienne. Nous renforcerons nos mises en réseau avec celles et ceux qui défendent la justice, et nous tendrons nos mains aux vrais amis de la Palestine.
* Samah Jabr est psychiatre et psychothérapeute à Jérusalem. Elle milite pour le bien-être de sa communauté, allant au-delà des problèmes de santé mentale. Elle écrit régulièrement sur la santé mentale en Palestine occupée.
16 mars 2017 – Middle East Monitor – Traduction : JPP pour les Amis de Jayyous