Par Samah Jabr
« Un monde sans frontières », nous dit le tatouage sur le bras de l’un des militants brésiliens qui s’est tenu à nos côtés – à moi et à mon ami palestinienne – à l’aéroport de São Paulo, pour nous faire ses adieux avant notre vol de retour.
Lorsque des problèmes inattendus sont survenus, les militants brésiliens sont restés avec nous pendant des heures, nous aidant à tout résoudre. Même lorsqu’on nous a refusé l’accès à notre vol cette nuit-là, ils ont veillé à ce que nous ayons un endroit où dormir et ont continué à s’occuper de la logistique alors que nous nous reposions.
Ce soutien plein d’affection illustre la solidarité que je rencontre dans le monde entier. Pour quelqu’un qui s’extrait de l’hostilité de la terre occupée, de telles expériences sont comme un choc de chaleur humaine et d’émotion.
Un monde sans frontières, sans racisme et sans violence politique est notre rêve à tous qui relie les Palestiniens apatrides à d’innombrables personnes à travers le monde dans ce que l’on peut appeler l’amour révolutionnaire – un amour qui n’est pas déclaré, mais profondément ressenti dans les mains qui créent des liens, les cœurs qui apaisent les douleurs et les esprits qui conçoivent un monde où la liberté et l’égalité sont des droits inhérents pour tous.
L’amour révolutionnaire se manifeste par de petites actions de tous les jours : l’enseignant d’un camp de réfugiés qui redonne espoir à des enfants qui n’ont connu que la violence ; l’artiste qui évoque la résilience d’un peuple oublié ; les citoyens ordinaires qui boycottent les produits qui contribuent à l’oppression et soutiennent le commerce équitable et les entreprises éthiques.
Chacune de ces actions contribue à un mouvement plus large de solidarité et de libération.
L’amour révolutionnaire n’est pas une simple abstraction. C’est une force de transformation qui remet en question le statu quo et renforce la lutte pour la justice, l’égalité et la dignité humaine.
C’est le courage d’aimer au-delà des frontières visibles et invisibles, d’éprouver de la peine et de l’empathie pour ceux dont la souffrance est souvent passée sous silence et normalisée, et d’agir en solidarité avec leurs luttes.
C’est l’énergie qui nous permet de nous lever et de faire des sacrifices les uns pour les autres.
Souvenez-vous de Rachel Corrie, une militante américaine qui s’est tenue devant les bulldozers israéliens pour protéger les maisons palestiniennes de la démolition. Le sacrifice ultime de sa vie illustre l’amour révolutionnaire, démontrant une volonté d’affronter un risque personnel immense au nom de la justice.
Ou encore, pensons aux innombrables professionnels de la santé du monde entier qui se portent volontaires à Gaza pour prodiguer des soins de santé essentiels au milieu des bombardements et des blocus.
Leurs actes de service, motivés par une profonde compassion et un engagement en faveur de la dignité humaine, transcendent les clivages nationaux, religieux, ethniques et culturels.
Voyez les étudiants confrontés à la violence policière sur les campements des campus d’Amérique du Nord et d’Europe. Lisez des articles sur des groupes sionistes comme Canary Mission et des ligues pro-israéliennes qui menacent les emplois de personnes et le statut institutionnel de ceux qui ont pris la défense des Palestiniens.
Contrairement aux mercenaires qui participent à la guerre génocidaire de l’armée israélienne à Gaza pour quelques milliers d’euros par semaine et aux journalistes et influenceurs vendus au plus offrant, qui diffusent de la propagande anti-palestinienne, nous voyons des militantes et militants qui se tiennent aux côtés des Palestiniens.
Ils élèvent leur voix dans une défense inlassable contre le génocide. Ils offrent un soutien quotidien à ceux qui refusent de succomber au désespoir, en dépit d’une adversité implacable.
Ils ne reçoivent pas un centime pour ces actes qui tiennent à des principes et, en fait, doivent souvent supporter les frais de leur engagement, en subissant des pertes matérielles comme immatérielles.
L’appel à la solidarité internationale avec le peuple palestinien est ancré dans l’amour révolutionnaire. Il est réciproque, même lorsque les Palestiniens ont les mains liées et que nous ne pouvons pas les tendre à nos camarades dans la même mesure.
Depuis des décennies, les Palestiniens sont plongés dans des difficultés personnelles et collectives, nos vies étant soumises à une surveillance et à un contrôle de tous les instants.
Pourtant, dans cette obscurité, le sentiment que nous sommes liés à une communauté humaine plus large n’a jamais disparu.
Je me souviens qu’à plusieurs reprises, des employés palestiniens ont versé un petit pourcentage de leur salaire aux réfugiés syriens. De même, les Palestiniens ont manifesté leur solidarité avec les Turcs qui ont perdu la vie en protégeant leur démocratie en 2016 et ont manifesté pour soutenir le peuple opprimé des Rohingyas en Birmanie.
À Gaza, j’ai vu des gens collecter de l’argent pour soutenir les survivants des tremblements de terre en Turquie et en Syrie, ainsi que les victimes des inondations en Libye.
Des professionnels palestiniens de la santé et de la santé mentale ont également participé à des missions de soutien dans plusieurs zones de crise à travers le monde.
Le fait que les Palestiniens continuent de s’efforcer d’établir des liens avec les communautés indigènes, et d’autres communautés marginalisées témoigne de la force de l’amour révolutionnaire.
Je crois que les êtres humains ont un besoin inné de justice et de solidarité. C’est ainsi que je comprends la « fitrah » [verset 30 de la sourate ar-Rûm], traduite par « disposition originelle », dans la foi islamique.
Lorsque nous sommes témoins d’une situation de souffrance, notre capacité d’empathie nous pousse à agir. Il ne s’agit pas simplement d’une obligation morale, mais d’un impératif psychologique qui nous relie à notre humanité commune.
L’amour révolutionnaire fait appel à ce besoin profond, nous incitant à briser les barrières imposées de l’indifférence et des préjugés qui nous divisent si souvent.
Soutenir la lutte des Palestiniens, c’est reconnaître et affirmer l’humanité d’un peuple déshumanisé depuis bien trop longtemps. Les Palestiniens se trouvent au point culminant d’un choc des civilisations, défiant non seulement Israël, mais aussi un ordre mondial unipolaire et bancal, où la dignité et les droits de l’homme sont répartis de manière inégale.
Ce monde dénaturé nous présente des frontières équivoques et trompeuses entre l’Occident et l’Orient, le Nord et le Sud. Dans cet ordre mondial corrompu, l’occupation israélienne assise sur nos poitrines est considérée comme très européenne, occidentale et civilisée, alors que nous-mêmes sommes considérés comme des sauvages barbares et déshumanisés.
Les Palestiniens osent repousser Israël de nos poitrines et, ce faisant, défier la suprématie blanche et l’ordre mondial occidental.
Nous ne devrions pas être les seuls à le faire. Un monde qui prétend regretter d’avoir infligé l’esclavage aux populations noires et l’éradication des peuples indigènes lors de la conquête de nouveaux continents, devrait être solidaire des Palestiniens.
L’amour révolutionnaire, c’est voir ses ancêtres dans nos yeux, entendre leurs voix dans nos cris. L’amour révolutionnaire, c’est comprendre que la douleur des Palestiniens est universelle et que nos rêves sont légitimes et humains.
C’est reconnaître notre droit à repousser le lourd poids qui pèse sur notre poitrine, à respirer et à nous relier comme des égaux.
La solidarité internationale avec le peuple palestinien consiste à amplifier nos voix, à prendre la défense de nos droits et à nous accompagner dans la défense de notre dignité humaine commune.
Comme le dit le poète Samih Choukeir : « Si ma voix s’éteint, vos gorges ne s’éteindront pas », soulignant que l’esprit collectif de solidarité se poursuivra sans relâche dans la lutte pour la justice.
Cela signifie s’éduquer et éduquer les autres à l’histoire palestinienne et aux réalités actuelles. Posséder cette connaissance met en évidence la similitude entre notre lutte et celle d’autres nations indigènes et colonisées.
Cette connaissance nous prépare à remettre en question les récits toxiques et à plaider en faveur d’un changement politique global afin de promouvoir les droits de l’homme pour tous.
En embrassant l’amour révolutionnaire, nous affirmons que la lutte pour mettre fin à l’occupation de la Palestine est une lutte motivée par l’amour de l’humanité, et non par la haine, contrairement à ce que nos ennemis prétendent à tort.
Il s’agit d’un appel à l’action, exhortant les peuples du monde entier à se tenir ensemble, non pas en tant que spectateurs passifs, mais en tant que participants actifs à la lutte pour la justice.
Ce faisant, non seulement nous honorons le Sumud et le courage du peuple palestinien, mais nous défendons également les valeurs qui définissent notre expérience humaine commune : la compassion, la justice et un amour inébranlable.
En soutenant le peuple palestinien, vous ne faites pas qu’aider notre lutte, vous enrichissez votre propre vie en vous reliant à un sens plus profond de l’objectif et de l’humanité.
L’amour révolutionnaire nous enseigne que nos destins sont liés, que la justice pour l’un est la justice pour tous. Un monde sans frontières ! Répondons à cet appel avec des cœurs ouverts et des esprits déterminés, en défendant ensemble la dignité humaine et une paix éternelle.
Auteur : Samah Jabr
* Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l'Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est Professeur adjoint de clinique, à George Washington. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts - Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
16 juillet 2024 – Middle-East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah