Par Samah Jabr
Israël a imposé une occupation militaire, un colonialisme de peuplement et un régime d’apartheid à une multitude de communautés palestiniennes séparées les unes des autres, créant, entretenant et contribuant ainsi à de graves problèmes de santé physique et mentale.
Ceux-ci sont directement causés par la peines corporelles et afflictives génératrices de détresse physique et psychologique, par la violence et les dangers environnementaux, et par les attaques à l’encontre des soignants et des services médicaux.
Ce à quoi s’ajoutent les effets indirects d’une diminution de l’activité économique, la perturbation du fonctionnement social et l’entrave aux efforts de développement ou d’amélioration des soins de santé.
Il a été démontré que parmi tous les pays riverains de la Méditerranée orientale, celui qui a le plus lourd fardeau de morbidité due à la maladie mentale est la Palestine (Charara et al., 2017). La maladie mentale en Palestine représente l’un de ses défis de santé publique les plus importants, car elle survient dans un contexte d’occupation chronique et d’exposition à la violence (OMS, 2019).
Selon l’aperçu des besoins humanitaires en 2020, environ un demi-million d’adultes et d’enfants souffrent de détresse psychosociale et de troubles mentaux légers, modérés et graves en Palestine occupée. Il ne fait aucun doute que l’occupation israélienne nuit à la situation mentale des Palestiniens.
Cependant, ces travaux de recherche n’indiquent pas de préjudices mesurés au-delà du niveau de l’individu, et n’abordent pas les préjudices collectifs qui affectent nos relations au sein de la société et avec les autres.
L’occupation attaque non seulement le corps et l’esprit de ceux qui sont individuellement touchés, mais elle attaque également le tissu social, les normes, les représentations symboliques et l’identité collective de la société palestinienne.
Les conséquences collectives de l’occupation comprennent l’oppression intériorisée, la méfiance à l’égard de toute la communauté, une faible confiance et estime de soi.
D’autres conséquences sont la perte de subjectivité et la présence d’auto-objectivation, la perte du sens de l’action communautaire, l’acceptation de l’inefficacité et du statut de victime passive, ainsi qu’un fonctionnement et une réussite collectifs altérés.
La résistance palestinienne exprimée sous ses diverses formes – de l’écriture de slogans sur les murs au lancement de roquettes – est généralement entreprise par des individus agissant au nom du groupe dans son ensemble. Nous ne pouvons ignorer l’impact de cette résistance au niveau collectif, dans la mesure où elle a le potentiel de réparer l’érosion émotionnelle de la communauté provoquée par l’oppression.
La résistance peut faire passer les gens de l’impuissance inculquée et forcée, à l’espoir.
La résistance palestinienne ne découle ni d’un racisme ni d’un chauvinisme nationalistes, ni d’intérêts politiques et économiques, mais de facteurs psychologiques profonds : un besoin de cohérence cognitive en place de dissonance et un besoin d’être actif dans le rejet de l’oppression en luttant pour la justice, et avec une véritable empathie à l’égard de ceux qui sont opprimés.
Cette résistance représente des valeurs morales, symboliques et spirituelles qui sont d’une importance cruciale pour ceux qui sont privés de droits matériels et concrets.
La résistance a une influence humanisante, agissant contre la dynamique d’objectivation tant au niveau individuel que collectif. Elle est considérée par les Palestiniens comme un droit basique et légitime, comme un devoir moral.
Nous pouvons discuter des formes de résistance que nous devrions adopter et à quel moment elles devraient être adoptées, mais cette question doit être un débat palestinien interne qui ne peut pas être conclu pour nous par d’autres, en particulier par ceux qui ne nous ont jamais soutenus ni défendus.
Des gens me demandent souvent : “La résistance palestinienne n’a-t-elle pas d’effets inverses et n’entraîne-t-elle pas plus de morts pour les Palestiniens ?” Au moment où j’écris, l’agression israélienne contre les Palestiniens à Gaza tue et blesse des centaines de personnes de tous âges, et détruit leurs maisons et leurs infrastructures. Au moment où j’écris, les roquettes palestiniennes causent un degré bien moindre de dégâts et de perte de vies en Israël. Au moment où j’écris, trois de mes collègues professionnels viennent d’être tués avec leurs enfants, enterrés sous les décombres à Gaza. Au moment où j’écris, des colons israéliens armés circulent dans les rues et tirent des coups de feu dans le quartier où vit ma famille.
La résistance des opprimés n’obéit pas au calcul usuel des risques et bénéfices qui caractérisent la logique commerciale ou économique. Elle ne peut pas être jugée uniquement sur ses résultats finaux. Le parcours de la résistance est digne en lui-même, même en l’absence de réalisation des objectifs souhaités.
C’est la résistance pour une vie décente, pas la mort. Lorsque les manifestants palestiniens et les colons israéliens manifestaient et se confrontaient dans les rues de Jérusalem récemment, les Palestiniens criaient “Liberté, libération”, tandis que les Israéliens scandaient “Mort aux Arabes, brûlez leurs villages”.
Avant toute chose, la motivation que l’on trouve dans la résistance à l’oppression entretient une conception positive d’un futur imaginé, et ainsi rajeuni l’espoir de libération.
De plus, si la résistance palestinienne est le remède au traumatisme collectif du peuple palestinien, la solidarité internationale est également réhabilitative et thérapeutique pour les Palestiniens et pour ceux qui les soutiennent.
La solidarité valide l’humanité des Palestiniens et reconnaît leurs sentiments et leur subjectivité. Elle nourrit leur aspiration à être des agents et des acteurs du changement. Elle a également le potentiel de générer un militantisme partagé et à l’échelle mondiale pour la justice.
C’est une honte que certains gouvernements prétendument démocratiques, comme celui de la France, interdisent des manifestations de solidarité avec la Palestine, arrêtent les organisateurs et infligent des amendes aux participants. Mais malgré cela, la résistance palestinienne actuelle est une source d’inspiration pour la lutte contre les puissances oppressives.
Elle prospérera à l’intérieur et au-delà de la Palestine occupée.
* Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l’Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts – Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
18 mai 2021 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah