Par Samah Jabr
Lorsque les habitants de Gaza subissent les bombardements, la faim et l’agonie dûe aux amputations et aux blessures non soignées, ils trouvent souvent instinctivement du réconfort en invoquant l’un des nombreux noms d’Allah.
Cette forme de confiance en Allah offre aux croyants un refuge et une stabilité. L’un des noms d’Allah, aṣ-Ṣamad, reflète cette confiance, représentant un point d’ancrage primordial que l’on recherche dans les épreuves difficiles. L’acte de demander l’aide de Dieu, appelé ṣumūd, est profondément ancré dans la foi islamique.
Invoquer le nom d’Allah aṣ-Ṣamad dans les moments de vulnérabilité et de peur, c’est le reconnaître comme l’ultime refuge. Ce nom n’apparaît qu’une seule fois dans le Coran, dans la Sūrat al-Ikhlāṣ : Dis : « Il est Allah, l’Unique. Allah, aṣ-Ṣamad (l’éternel Bien-aimé de tous). Il n’engendre ni ne naît. Il n’y a pas d’équivalent pour lui » (Coran 112:1-4).
Historiquement, le terme Samad a été utilisé par les Arabes pour décrire des chefs et des guerriers particulièrement résistants et fiables. As-Ṣamad (le Samad) signifie la majesté et la grandeur d’Allah et remplit les croyants d’admiration et de respect. Ainsi, le sumud implique la recherche d’un supérieur pour aider à atteindre ce que l’on ne peut réaliser seul.
La croyance en aṣ-Ṣamad signifie que l’on vide son cœur de toute dépendance à l’égard d’un autre qu’Allah, en reconnaissant que même si l’on peut chercher de l’aide auprès d’autres personnes, seul Allah peut véritablement répondre à tous nos besoins. Cette croyance conduit à la transcendance morale, en s’élevant au-dessus des désirs et des menaces du monde.
Si le sumud s’aligne sur certaines valeurs islamiques telles que la patience, la justice et les liens communautaires, il n’est pas confiné à l’Islam, c’est un principe profondément ancré dans la culture et la résistance palestiniennes, qui transcende les frontières religieuses.
Il s’agit d’un concept qui englobe des dimensions culturelles, nationales et sociales, adopté par des Palestiniens de diverses origines religieuses, y compris des musulmans, des chrétiens et des personnes laïques, en particulier dans le contexte de la résistance à l’occupation. Le sumud palestinien signifie la constance, la résilience et la persévérance dans la résistance au déplacement, à l’oppression et aux défis sociopolitiques.
Il ne s’agit pas simplement d’une position politique ou psychologique, mais d’un mode de vie, reflétant une croyance profonde dans le droit d’exister et de s’épanouir dans sa patrie en dépit de difficultés persistantes et souvent difficiles à surmonter.
Sumud a été illustré tout au long de l’histoire palestinienne. Le village bédouin d’Al-Arakib, dans le désert du Néguev, par exemple, a été démoli à de nombreuses reprises par les autorités israéliennes, mais les habitants reconstruisent sans cesse leurs maisons.
Les agriculteurs palestiniens de la vallée du Jourdain sont fréquemment harcelés, leurs terres sont confisquées et leur accès à l’eau est restreint par les autorités israéliennes et les colons. Malgré ces difficultés, de nombreux agriculteurs continuent de cultiver leurs terres, incarnant le sumud en préservant leur patrimoine agricole et leurs moyens de subsistance.
À Hébron, des Palestiniens et des militants internationaux ont créé la « Maison du sumud » dans le quartier de Tel Rumeida, afin de promouvoir la présence et la résilience palestiniennes dans une zone où les colons et les militaires israéliens sont très présents.
La famille Al-Kurd et d’autres familles palestiniennes du quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem-Est sont devenues des symboles du sumud, résistant aux menaces d’expulsion des colons israéliens et attirant l’attention de la communauté internationale sur leur situation.
Les étudiants et les enseignants palestiniens de Cisjordanie sont confrontés à de nombreux obstacles, tels que les points de contrôle, les restrictions de circulation et les démolitions d’écoles. Malgré ces obstacles, ils poursuivent l’enseignement et l’éducation comme une forme de résistance, la considérant comme essentielle pour l’avenir de leur communauté.
Des organisations de base, connues sous le nom de comités populaires, organisent des manifestations et des activités non violentes dans des villages comme Bil’in et Ni’lin, menant des manifestations hebdomadaires contre la barrière de séparation israélienne, les confiscations de terres et l’expansion des colonies.
La grande marche du retour de Gaza, qui affirme l’action collective des réfugiés, les festivals du patrimoine palestinien et les initiatives d’autonomisation des femmes mettent tous en évidence l’esprit du sumud chez les Palestiniens.
Les aspects clés du sumud palestinien comprennent le maintien et la préservation de l’identité culturelle et nationale palestinienne en s’accrochant à la terre, au patrimoine et aux traditions malgré les pressions extérieures de déculturation et de mémoricide.
Le sumud met l’accent sur l’espoir, la solidarité communautaire et la volonté d’endurer les épreuves sans renoncer au rêve d’autodétermination et de justice.
Il s’agit de détermination mentale et émotionnelle, d’activisme et de résistance, de lutte pour les droits, même symboliques, qui affirment la préservation de soi et de la nation. Le sumud implique également une action collective, des liens communautaires forts, de la solidarité et de la contenance.
Le sumud et la résilience psychologique présentent des similitudes mais diffèrent dans leurs contextes et leurs applications. Alors que le sumud reflète la constance, la persévérance et la capacité à supporter les épreuves et l’adversité, la résilience fait référence à la capacité à se remettre rapidement des difficultés, à s’adapter au changement et à continuer à avancer face à l’adversité.
Les deux concepts impliquent une force intérieure et une force mentale importantes, mais le sumud est profondément enraciné dans le contexte sociopolitique palestinien, englobant l’éthique culturelle et nationale collective liée à la résistance à l’occupation et au déplacement, ainsi qu’au maintien de l’identité.
Le sumud implique des actions collectives dans le cadre d’une lutte nationale, notamment la présence physique, la préservation culturelle et la résistance politique.
La résilience, quant à elle, se concentre sur les mécanismes psychologiques individuels d’adaptation, la régulation émotionnelle, la pensée positive, la recherche d’un soutien social et l’adoption d’un comportement adaptatif pour surmonter les difficultés.
Le sumud englobe le sens de la résilience psychologique, mais ne s’y limite pas, car il est lié à l’action en faveur du changement politique.
Soutenir le sumud du peuple palestinien nécessite une approche à multiples facettes combinant des actions de plaidoyer, d’aide économique, de préservation culturelle et de solidarité internationale.
En entreprenant ces actions, les individus et les organisations peuvent contribuer à la résilience et à la persévérance des Palestiniens dans leur lutte pour la justice et l’autodétermination.
Soutenir le sumud n’est pas seulement nécessaire pour décoloniser la Palestine et libérer son peuple de l’oppression, mais c’est aussi l’occasion pour la santé mentale décoloniale palestinienne d’influencer les pratiques courantes en matière de santé mentale.
Alors qu’Israël s’engage dans l’exportation mondiale de massacres automatisés, de technologies d’espionnage et de maintien de l’ordre, le sumud sera le cadeau palestinien à un monde qui doit se dresser contre la tyrannie.
Auteur : Samah Jabr
* Samah Jabr est médecin-psychiatre et exerce à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. Elle est actuellement responsable de l'Unité de santé mentale au sein du Ministère palestinien de la Santé. Elle a enseigné dans des universités palestiniennes et internationales. Le Dr Jabr est fréquemment consultante pour des organisations internationales en matière de développement de la santé mentale. Elle est Professeur adjoint de clinique, à George Washington. Elle est également une femme écrivain prolifique. Son dernier livre paru en français : Derrière les fronts - Chroniques d’une psychiatre psychothérapeute palestinienne sous occupation.
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12 août 2024 – Transmis par l’auteure – Traduction : Araba bni Snassen