Le “Bateau des Femmes” pour Gaza représentait-il une “menace existentielle” pour l’État sioniste ?

Bateau "Femmes pour Gaza"
Le bateau au moment du départ - Photo: WBG Twitter
Ramzy BaroudLe discours israélien officiel concernant le conflit avec les Palestiniens est rendu délibérément confus parce qu’un discours embrouillé est un discours pratique. Il permet à son auteur de choisir autant qu’il en veut des demi-vérités en vue de créer une version falsifiée de la réalité.

Voici, par exemple, un extrait du discours fait le 22 septembre aux Nations Unies par Benjamin Netanyahu, premier ministre israélien:

“Mesdames et messieurs, Israël mène chaque jour la bataille fatidique contre les forces de l’islam militant. Nous protégeons nos frontières contre l’État islamique, nous empêchons la contrebande d’armes en direction du Hezbollah libanais, armes qui pourraient bien changer la donne, nous contrecarrons les attaques terroristes en Judée, en Samarie et en Cisjordanie et enfin nous prévenons les attaques de missiles venus de la bande de Gaza contrôlée par le Hamas.”

Ce n’est qu’un paragraphe. Netanyahu a choisi de créer une autre réalité bien que:

– jusqu’à présent, les principales victimes de l’État islamique ont été des musulmans et non des Israéliens
– le Hezbollah, qui s’est laissé entraîner dans un combat sectaire en Syrie est un mouvement libanais qui est aussi en guerre contre l’État islamique
– le soulèvement en Cisjordanie a été principalement le fait de jeunes Palestiniens sans espoir nés sous l’occupation israélienne et qui n’ont aucune confiance dans leurs leaders
– le Hamas n’a lancé aucune roquette sur Israël depuis la terrible guerre menée par ce pays en 2014 qui a coûté la vie à 2251 Palestiniens, dans leur très grande majorité des civils.

Certes, les affirmations de Netanyahu ne sont pas des mensonges grossiers, mais leur sélection, l’absence de dates et de contexte, le fait qu’il ne parle d’aucune responsabilité de la part d’Israël en fait tout simplement de fausses déclarations. Inutile de dire que cela prête d’autant plus à confusion pour ceux qui ne comprennent guère la nature du conflit entre Israël et les Palestiniens ainsi qu’avec ses voisins arabes.

Les discours tenus par le premier ministre israélien aux rencontres internationales sont typiques, pour ne pas dire prévisibles. Ils sont non seulement typiques de lui en tant qu’homme d’état, mais typiques de générations de leaders israéliens, actuels et anciens. Shimon Peres, qui fut premier ministre et président israélien, mort en septembre dernier, avait la maîtrise de ce style typiquement israélien. Bien qu’il fût l’architecte de la première et unique bombe atomique du Moyen Orient, les médias et les gouvernement occidentaux, dont beaucoup d’hommes politiques de gauche, l’ont porté aux nues en tant que pacifiste, personnage héroïque et homme d’état.

Mais Shimon Peres fut le dernier de la génération des “fondateurs d’Israël”. L’approche que cette génération avait de la guerre et de la diplomatie était unique et ne peut se répéter. La plupart d’entre eux étaient nés à l’étranger. Ils parlaient diverses langues, suivaient un plan unifié et avaient des buts clairs et décisifs.

Au contraire, Netanyahu est le premier Premier ministre israélien à être né dans le pays, après l’établissement d’Israël sur les ruines de la Palestine en 1948. Sa diplomatie est aussi violente que sa conduite sur le terrain. Il semble n’avoir peur de rien, pour autant qu’il ait confiance dans ses bienfaiteurs, notamment le gouvernement des États-Unis, qui vient de promettre à Israël une aide militaire inconditionnelle d’un montant de 38 milliards pour les dix années à venir.

Sans qu’il soit en aucune façon tenu responsable sur les plans légal et politique et bénéficiant du soutien inconditionnel des États-Unis, même pour des actions destructrices ou déstabilisantes, Netanyahu et sa logique, bien que déficiente, prévaudront toujours.

Si l’on considère qu’Israël est en train d’atteindre ses buts- en multipliant ses colonies illégales, en maintenant son occupation de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie, en accroissant son armement et en poussant ses intérêts stratégiques aux dépens de ses voisins tout en échappant à toute possibilité d’inculpation légale, comment se fait-il que ce pays donne toujours l’impression d’être assiégé ?

Les propos de Netanyahu laissent penser que l’existence de son pays est gravement menacée. En fait, c’est ce même langage qui émane en permanence des principaux cercles israéliens, des officiels, des médias, des universitaires et même des gens ordinaires. Cette perception des choses a perduré même après qu’Israël eut repoussé ses frontières en occupant le reste de la Palestine historique à la suite de la guerre désastreuse de 1967, même alors qu’Israël réclamait d’immenses territoires en Jordanie, en Égypte, au Liban et en Syrie.

Il semble que plus Israël devient fort, plus il repousse ses frontières, plus il devient destructeur sur le plan militaire et plus il se perçoit faible et menacé.

Même avec leur manque de tact en diplomatie, la nouvelle génération de leaders israéliens a gardé le même mantra: celui d’un pays assiégé faisant face à une menace existentielle.

En 2015, suite à la signature de l’accord nucléaire entre l’Iran et les États-Unis, ainsi qu’avec d’autres pays, Israël s’est vu privé de l’élément central de cette “menace existentielle” dans son discours. Mais une fois évité “l’holocauste nucléaire” iranien, même si du point de vue israélien ce n’était pas tout à fait convaincant, de nouvelles menaces imaginaires se sont vues propulsées au premier rang de l’ordre du jour.

La minuscule bande de Gaza, bien qu’assiégée, dévastée par les bombardements et dans un état de pauvreté alarmante, a conservé sa mauvaise réputation de source principale d’inquiétude et de menace numéro un pour la sécurité d’Israël. Bizarrement, le mouvement civique BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanction) a été placé tout en haut de la pyramide de cette “menace existentielle”.

Calqué sur le modèle du mouvement de boycott anti-apartheid en Afrique du Sud, BDS se propose d’isoler (de boycotter ) l’occupation israélienne de la Palestine et d’y mettre fin par des moyens non-violents.

Le langage utilisé par Israël contre l’Iran, le Hezbollah, le Hamas et bien d’autres est à présent utilisé contre BDS. Le mois dernier, au cours d’une conférence organisée à New York par le Fond National Juif, Ayelet Shaked, ministre israélienne de la Justice, a qualifié BDS d'”organisation terroriste”.

“BDS est le nouveau visage de la terreur” a-t-elle dit. “Pendant qu’à Gaza, les terroristes creusent des tunnels souterrains pour entrer en Israël, le mouvement BDS creuse ses propres tunnels pour miner les fondements et les valeurs d’Israël. Il nous faut bloquer ces tunnels-là aussi.”

Comme Netanyahu, Ayelet Shaked a prétendu vouloir combattre “l’islamisme extrémiste”, bien que les supporters de BDS viennent de nombreux pays et ne se revendiquent d’aucune religion particulière. En fait, nombre d’entre eux sont même des militants juifs.

Mais ça n’a pas d’importance et ça n’en a jamais eu. Parce que l’ennemi doit rester ” le terrorisme islamique”, même s’il n’est ni islamique ni terroriste.

La marine israélienne a intercepté, arrêté et déporté un groupe de femmes qui voulaient briser le siège de Gaza en utilisant un petit bateau. En réponse à cela, Avigdor Lieberman, ministre israélien de la Défense, a tourné ses propos de façon à établir une relation entre ces militantes non-violentes et autre chose de différent.

En octobre 2007, lors d’une cérémonie militaire, il a dit: ” Nous n’accepterons ni le feu des roquettes ni les provocations contre les citoyens israéliens ni les attaques contre la souveraineté d’Israël, quel qu’en soit l’auteur. Ni le feu de roquettes, ni une flottille.”

Parmi les militantes présentes sur le bateau, il y avait Mairead Maguire, prix Nobel de la Paix, venue d’Irlande du Nord. Selon la logique de Lieberman, la tentative de Mairead Maguire de mettre fin à un blocus de dix ans contre une région pauvre s’apparente donc à un tir de roquette.

Peu importe le genre de critiques auxquelles Israël doit faire face et les tactiques utilisées pour mettre fin à son Occupation de la Palestine, Israël joindra toujours les mêmes points pour aboutir au même résultat: son existence est en jeu, tout acte de résistance, même symbolique, est terroriste et Israël doit faire ce qu’il faut pour se défendre de la menace d’une destruction par des terroristes sans scrupules.

Cependant, contrairement à ce qui se passait sous Shimon Peres et sa génération de leaders, l’histoire israélienne telle qu’elle est racontée par ses nouveaux leaders se vend moins bien. Gaza, déclarée inhabitable par les Nations unies d’ici 2020, ne menace guère l’existence d’Israël. Et les militants de BDS, qui demandent qu’Israël reconnaisse ses torts, ne sont pas de vils terroristes. Est-il besoin d’ajouter qu’un groupe de femmes sur un petit bateau apportant quelques provisions symboliques à Gaza étaient bien loin de s’emparer de la seule puissance nucléaire du Moyen Orient?

Selon Al-Jazeera, “L’armée israélienne s’est emparée du bateau. Les femmes, voulant bien montrer qu’elles étaient pacifistes, n’ont opposé aucune résistance. Elles ont pleuré parce qu’elles n’ont pu atteindre Gaza.”

“De vraies terroristes!”

A1 * Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest. Visitez son site personnel.

11 septembre 2016 – Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Christine Malgorn

* Christine Malgorn a écrit Syrie, mon amour. 1860, au cœur de la guerre oubliée – Voir la vidéo (disponible sur Amazon); et « Bienvenue au Shéol » paru en avril 2015 (disponible en numérique sur Amazon, et en format papier). Consultez son blog.