Palestine occupée : comment construire un unique système juridique et législatif ?

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Jeunes manifestants lors d'un rassemblement à Gaza pour célébrer l'accord d'unité - octobre 2017 - Photo : Ibraheem Abu Mustafa

Par Adnan Abu Amer

En plus des divisions politiques et géographiques dont les Palestiniens souffrent depuis 10 ans – depuis que le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza en juin 2007 jusqu’à ce que le Fatah et le Hamas signent l’accord de réconciliation en octobre dernier – de nombreux décrets et lois ont été adoptés dans les territoires palestiniens.

Dans les semaines à venir, le comité de réconciliation doit se pencher sur le sort de ces lois, afin d’unifier le système juridique en mettant fin au dédoublement législatif entre la Cisjordanie et la bande de Gaza.

Cette duplication du système légal entre la Cisjordanie et Gaza saute particulièrement aux yeux dans le domaine de la fiscalité. Les Palestiniens se retrouvent soumis à un double impôt du fait que des lois sont promulguées à la fois par le Conseil législatif palestinien (CLP) de la bande de Gaza et le gouvernement de Cisjordanie. Les deux gouvernements ont des budgets distincts.

Mazen Noureddine, le doyen de la faculté de droit de l’Université d’Oummah à Gaza, a déclaré à Al-Monitor: « Les discussions sur l’unification des lois palestiniennes promulguées pendant la période de division doivent reposer sur deux principes: la primauté du droit et celle de l’intérêt public palestinien. Cependant, trop d’interrogations sur la constitutionnalité des lois promulguées pendant le clivage saperaient tout espoir de rétablir l’unité de la société palestinienne et de réguler son système juridique, qui est la soupape de sécurité de l’État de Palestine. »

Noureddine a ajouté: « C’est pourquoi il est nécessaire d’élire un conseil législatif, d’avoir un président élu et un gouvernement nommé, conformément à la constitution. Ce n’est qu’alors qu’on pourra examiner les lois pour s’assurer qu’elles sont bien d’intérêt public et qu’elles préservent les droits acquis au titre de la Loi fondamentale palestinienne*. »

Hassan al-Awari, un conseiller juridique du président Mahmoud Abbas, a déclaré le 10 novembre que les décrets présidentiels promulgués pendant la scission étaient conformes à la constitution, mais qu’ils devaient être ratifiés par le Conseil législatif palestinien (CLP) pendant la session qui suivra la réconciliation. Par contre, selon lui, les lois promulguées à Gaza sont inconstitutionnelles et il faudra rectifier leur statut légal pour assurer le succès de la réconciliation.

Ammar Dweik, le chef de la Commission indépendante des droits de l’homme, a dit à Al-Monitor: « Des dizaines de lois ont été promulguées dans la bande de Gaza et en Cisjordanie pendant la scission pour faciliter la vie des Palestiniens, et nous ne pouvons pas les changer d’un seul coup. Il y a des Palestiniens qui appellent à la tenue d’une session du CLP dès que la réconciliation sera parachevée pour mener à bien des tâches juridiques spécifiques, et/ou préparer des élections législatives immédiates. »

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La législation et les décisions prises pendant la scission ont peut-être servi les intérêts de l’autorité qui les a promulguées, mais pas l’intérêt national palestinien. Elles ont eu pour conséquence la prise de contrôle du législatif par l’exécutif. Le principe de base d’un bon gouvernement, la séparation des pouvoirs, a été violé et les libertés publiques en Cisjordanie et à Gaza ont été amoindries.

Samir al-Manahemeh, un avocat du Centre Al-Mezan pour les droits de l’homme, a parlé à Al-Monitor du « dédoublement qui s’est produit après 2007, et qui s’est traduit par 194 lois du président Abbas et 59 lois du bloc de Réforme et de Changement affilié au Hamas du CLP ».

Selon lui : « Une des plus grandes conséquences de la scission a été la mise en place de deux systèmes juridiques séparés qui ont entraîné des droits et des devoirs différents pour les citoyens de l’État palestinien. Cela a créé une situation juridique qui fait obstacle au développement le secteur judiciaire et au respect des engagements de l’État de Palestine sur les droits de l’homme. »

Manahemeh a ajouté: « Pour y remédier, il faut cesser de promulguer de nouvelles lois. Il faut d’abord finaliser l’accord de réconciliation, tenir des élections législatives et soumettre toutes les décisions et les lois au CLP élu pour approbation, rejet ou amendement.

Al-Monitor a consulté Al-Waqae – la gazette officielle palestinienne qui publie les lois, règlements, ordonnances et décrets présidentiels – et a noté que Abbas avait promulgué près de 200 lois et décrets de 2007 à 2017, plus du double des 90 lois du CLP promulguées pendant les 10 années qui ont précédé la victoire du Hamas aux élections législatives de janvier 2006.

Le bloc du Changement et de la Réforme du Hamas a déclaré le 12 novembre que le CLP serait la soupape de sécurité de la réconciliation et que c’était le vote de confiance du CLP qui déterminerait la légitimité constitutionnelle de tout futur gouvernement.

Le CLP enverrait alors à Abbas par fax ou par email les projets de lois qu’il a approuvés, pour qu’ils soient ratifiés dans les 30 jours. Si Abbas ne réagissait pas dans ce délai, le projet de loi deviendrait automatiquement loi. Cependant, depuis janvier 2009, date à laquelle le mandat d’Abbas a pris fin légalement, le Conseil législatif palestinien (CLP) a cessé d’envoyer à la présidence des projets de loi pour ratification, le bloc du Changement et de la Réforme affilié au Hamas étant la seule instance à siéger au CPL

à Gaza. Les autres blocs parlementaires, à savoir le Fatah, le Front populaire pour la libération de la Palestine et le Front démocratique pour la libération de la Palestine ont boycotté les sessions du CLP à Gaza.

Faraj al-Ghoul, un ancien ministre palestinien de la justice du gouvernement du Hamas à Gaza, a déclaré à Al –Monitor : « Pendant la scission, Abbas a promulgué des décisions et des lois sans les soumettre au CLP, et ces lois devront être examinées pendant la session du CLP qui suivra la réconciliation, pour que les députés puissent les modifier ou les annuler. Bien que le CLP ait continu de fonctionner à Gaza, il a été fermé par l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie et les services de sécurité [de l’AP] ont empêché les députés d’entrer dans le bâtiment du CLP à Ramallah et/ou de tenir des sessions. »

Ghoul a ajouté : « Malgré tout, le CLP est la seule institution palestinienne encore considérée comme légitime et aucun camp ne peut le nier. C’est pourquoi un vif débat devrait s’enclencher dans les prochains jours sur l’avenir du CLP; certains blocs veulent le réactiver, mais le bloc du Fatah s’y oppose car il veut que toutes les fonctions et les pouvoirs restent entre les mains du pouvoir exécutif dirigé par Abbas. »

Les services de sécurité de l’AP en Cisjordanie ont en effet fermé le siège du Conseil législatif palestinien (CLP) et interdit aux députés d’entrer dans le bâtiment et de tenir des sessions. Le CLP ne fonctionne plus depuis le début de la division palestinienne, il y a 10 ans.

Le fait que le CLP n’ait pas été autorisé à siéger ni à faire quoi que ce soit en Cisjordanie pendant les années de division a permis à Abbas de promulguer des lois en s’épargnant les longues périodes de délibération légales (une discussion publique et trois lectures). Abbas a donc pu promulguer beaucoup de lois pour étendre son contrôle sur la Cisjordanie et y consolider son pouvoir. Le Hamas, de son côté, a géré Gaza en promulguant des lois correspondant à ses propres inclinations politiques, économiques et sociales.

Tout cela va, sans nul doute, occasionner de longues discussions entre le Fatah et le Hamas lors des prochaines négociations de réconciliation au Caire le 21 novembre. Chaque camp cherchera à faire en sorte que ce soit ses propres lois et décisions qui structurent l’avenir de la Palestine.

Note :

* mjp.univ-perp.fr

* Adnan Abu Amer est doyen de la Faculté des Arts et responsable de la Section Presse et Information à Al Oumma Open University Education, ainsi que Professeur spécialisé en Histoire de la question palestinienne, sécurité nationale, sciences politiques et civilisation islamique. Il a publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur l’histoire contemporaine de la Palestine.

23 novembre 2017 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet